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Jean Bascou (3ème partie)
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- Publié le: 29/01/2016
- Auteur: Bernard Caillens
Du 3 au 22 juillet, à Saint Rémy sur Bussy, la vie de caserne reprend le dessus : gardes, marches en campagne, tir, revue du capitaine.
Sa lettre du 14 fera monter l’inquiétude à Caramany. On sent un homme découragé, lassé de la guerre ; en commençant toutes les phrases par Combien je regrette... il énumère tout ce qu'il apprécie : sa famille, sa maison, ses outils, ses terres, la route, l'air de nos champs et de nos jardins, tout y passe. Ce jour là, il est au repos et donc pas pris par les obligations quotidiennes ; c'est aussi le jour de la fête nationale, il parle d'un peu de fatigue, de son obligation de coucher sur la paille. Tout ça lui a donné de toute évidence un gros coup au moral que Françoise ose lui reprocher : « Hier (19 juillet) j'ai reçu ta lettre du 14 et le journal Pays de France, avec des lettres comme celle-là tu ne m'encourages pas du tout, nous sommes assez affligés, prends courage, avec les prières que nous faisons pour toi le bon Dieu te gardera. »
Ce que Jean reconnaît volontiers : « Je suis désolé que ma lettre du 14 t'ai fait tant de peine, telle n'était pas mon intention. Quand je l'écrivis, j'ai suivi le fil de me pensées, et quand je l'eus terminé j'avais reconnu que je m'étais trompé et j’eus la négligence de ne pas la déchirer, pardonne moi bien ma Françoise chérie. » Ce dimanche 25 juillet, date à laquelle il s'excuse toute la famille était réunie à Caramany et quelques jours plus tard, Jean eut la surprise de recevoir le mot suivant :
« Mon cher papa,
Au moment où, après avoir repassé une bonne et agréable journée en compagnie des parrains Jeannet (son père) et Poupou (son frère Joseph), nous nous disposons à aller nous coucher, nous vous envoyons tous en cœur l'assurance de toute notre affection de tout notre amour pour vous une grosse bisse de nous tous.
le délégué de tout le monde
votre Henri
Le 23 juillet, le régiment a changé de cantonnement et loge maintenant sous tente. Il participe à des aménagements de tranchées, des travaux qui se font de nuit.
Le 6 août, Jean Bascou signale qu'il ne pourra plus indiquer dans ses lettres le lieu où se trouve le régiment et que la correspondance aura un peu de retard puisque le vaguemestre devra prendre connaissance du contenu. Encore un fois il donne une information tout en essayant immédiatement de la minimiser. N'est-il pas en train de préparer sa famille à recevoir des nouvelles plus graves ? Car tout le monde sait bien que lorsqu'on veut rendre secret les mouvements d'une troupe, ce n'est pas pour l'envoyer au repos mais bien au combat. Comment Françoise en discutant avec son père, ou les soldats en permission à Caramany ne pourrait-elle pas le savoir ?
Le 9, il avoue avoir pensé à la fête du 3 août « que nous célébrions à Caramany les années précédentes ».
Le 11, un rayon de soleil vient éclairer cette période sombre :
« Le capitaine aujourd'hui m'a fait appeler pour me dire qu'il m'enverra en permission, de suite après les anciens.... peut-être vers la fin du mois. »
Ce souhait se réalise enfin. Parti le 27 de son cantonnement, Jean Bascou arrive à Caramany le 29. Nous ne pouvons qu'imaginer la joie de toute la famille et les moments de bonheur partagés qui en découlent ; le vigneron a certainement rencontré voisins, cousins et amis, visité ses vignes éprouvées par le mildiou, caressé son cheval, vérifié ses outils. Tout cela et c'est bien normal ne subsiste que dans la mémoire de la famille Bascou puisque la correspondance de guerre elle, ne reprend ses droits que lorsque Jean quitte une fois de plus le village.
Un retour au front très difficile :
Il envoie dès le 6 septembre une carte de Lyon puis une lettre signalant qu'il est bien arrivé et que tous ses camarades ont crié "vive Mme Bascou !" en voyant tout ce qu'il avait rapporté. Mais c'est un soldat très affecté qui a rejoint son poste. Il avoue être parti les larmes aux yeux. Dans chaque lettre, il parle de ce rêve qu'il a vécu et qu'il voudrait revivre, de ces moments trop courts. Il écrit à son frère Joseph : « Mon beau père était venu m'accompagner (jusqu'à Perpignan) car j'étais très émotionné... J'ai quitté ma famille avec une peine extrême, je n'avais pas pensé que le départ m'aurait été aussi pénible. » Il lui précise aussi que la nuit de son arrivée, juste avant qu'il ne rejoigne sa compagnie, les boches avaient bombardé le bivouac faisant un tué et cinq blessés, un bilan relativement léger car la compagnie était aux travaux.
Le 14 septembre, il fait part de sa fatigue car il faut aller chaque nuit creuser des tranchées. Celle à laquelle il travaille sera connue sous le nom de boyau du Languedoc. Il se repose ensuite avec deux sergents dans un trou creusé dans la terre et recouvert de branches.
Il termine par une recommandation :
« N'oubliez pas le petit soldat qui n'a qu'une âme, qu'un but celui de retrouver bientôt et pour toujours sa famille adorée avec laquelle jusqu'à présent il a passé les meilleurs jours de sa vie. »
Le 19, il donne des conseils pour les vendanges mais il glisse dans sa lettre :
« Nous allons quitter dans deux jours l'emplacement que nous occupions pour aller aux tranchées ; tu peux être assurée que je ne ferai pas d'imprudence. Je sais la peine que vous ressentiriez s'il m'arrivait quelque chose. »
Chaque jour, il reparlera de la récolte et des vendanges mais on a aussi l'impression qu'il prépare sa famille au pire.
L'offensive a commencé et il le sait.
22 septembre : « Je suis abasourdi par le bruit de la canonnade, depuis ce matin à 6 heures notre artillerie tonne sans discontinuer, nous ignorons pour quel motif, vous n'aurez qu'à lire le communiqué du 23 au 24 septembre pour vous rendre compte de ce qui s'est passé entre Auberive Saint Hilaire Souain »
La lettre du 23 peut-être qualifiée, avec le recul, de lettre testament. Par respect de l'intimité familiale, je n'en citerai qu'une phrase dont le message est clair :
« Vous tous pour qui j'ai tant d'amour, aimez moi bien ; votre souvenir me suit partout, le mien celui de ton Jean, ne l'oubliez jamais. »
Le même jour il écrira à son frère Joseph : « Je crois que nous sommes à la veille d'événements très graves d'une importance capitale pour notre patrie. Peut-être l'écho est-il arrivé jusqu'à vous ? Quoiqu'il arrive, faisons tous notre devoir ; que nos enfants n'aient pas à rougir de nous. Et en ce moment, il m'est doux de te rappeler la place que tu occupais dans mon coeur. » Cet emploi de l'imparfait est-il volontaire où est-ce un lapsus commis par Jean qui envisage sa fin prochaine ?
Le 24 dans l'après midi, il envoie l'argent qu'il lui reste. Voici ses dernières phrases :
« Je vous répète comme je vous le disais ce matin, de ne pas te tourmenter si j'attends quelques jours à t'écrire. Depuis trois jours, le bombardement n'a pas cessé ; c'est le prélude d'événements d'une envergure capitale. J'ai bon espoir en le bon Dieu qui m'a protégé jusqu'ici et qui dans l'avenir me protégera encore. Priez pour moi ma chère bien aimée, et quoiqu'il arrive soyez assurée que en tout lieu, à chaque minute, je vous aurais devant mes yeux, vous tous qui m'avez fait la vie si douce, et qui avez tant mérité de ma reconnaissance.
Ma pensée va à mes deux papas, à mes deux beaux enfants, et à toi mon adorée Françoise, mon ange gardien que j'aime et que j'embrasse de tout mon cœur.
Mes plus doux baisers à Henri à ma Paulette, ma plus vive affection filiale à Papa.
Votre Jean »
La nouvelle tant redoutée arrive à Caramany.
Cette dernière lettre a dû parvenir à sa destinataire vers le 29 ou 30 septembre. Elle disait certes que Jean ne pourrait pas écrire de quelques jours et l'on imagine l'angoisse de Françoise en attendant la suivante. Hélas, les lettres qui parviendront à la famille à partir du 9 ou 10 octobre sont celles d'amis de régiment. Le 25 septembre lors de l'assaut, l'adjudant Jean Bascou est tombé à la tête de sa section une balle dans la poitrine entre Souain et Somme Py à quelques mètres des fils de fer boches.
Le malheur s'est abattu sur Françoise, Henri, Paulette et tous leurs proches. Dire que Jean va laisser un vide immense paraît dérisoire. La mémoire écrite qu'il a laissée est là pour dire l'homme de devoir qu'il était, les valeurs humaines qu'il défendait et qu'il a pu transmettre. Ce samedi 25 septembre est aussi un jour de deuil pour Caramany.
Sources :
- Le mémoire présenté en vue du diplôme de l'EHESS par Yann Thomas qu'ont mis à ma disposition Ghislaine et Louisette Bascou à qui j'adresse mes plus vifs remerciements.
- Archives municipales : registres d'état civil de la commune de Caramany
- Archives départementales des PO : préparation militaire et recrutement (en ligne)
Photos:
1: Henri Bascou (au premier plan) un 4 septembre, jour de la fête du village. archives famille Bascou
2: Vue de caramany datant du début du siècle. Elle avait été demandée par Jean Bascou à son épouse le 8 mai 1915. il souhaitait voir l'entrée du village et la route devant sa maison (qui n'est pas encore construite sur cette vue). archives personnelles
3: Fiche du Ministère de la défense qui clôt le dossier de Jean Bascou: site Mémoire des hommes.
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