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Les années en 2: de 1792 à 1882
- Détails
- Publié le: 06/06/2012
- Auteur: Bernard Caillens
Cet article ouvre une nouvelle série de recherches à partir des registres de délibérations conservés dans les archives municipales.Chaque millésime, 2012 cette année, sera l'occasion de visiter les deux siècles précédents en relevant dix événements, un par année se terminant par le même chiffre.
Cela implique de faire des choix et comme dans tout choix, il y aura une part de subjectivité; je m'efforcerai de sélectionner les faits en fonction de leur caractère exceptionnel, original ou de leur lien évident avec la grande Histoire de France, dont on oublie souvent qu'elle a des répercussions jusqu'au plus petit village.
J'espère qu'au fil des ans, ces évocations mettront en évidence la construction de notre histoire commune sans oublier que derrière cette construction, il y a des hommes et des femmes, tous ceux qui nous ont laissé Caramany en héritage.
Bernard Caillens mars 2012
Présentation:
Pour chaque année je mentionnerai la date,le nom du maire en fonction et les éléments inhabituels comme l'orthographe du nom de la commune, les dénominations des élus par exemple. Pour le lieu, il est chaque fois inscrit « au lieu ordinaire de ses séances » sans précision d 'une adresse. Plusieurs écrits indiquent le presbytère comme faisant office de maison commune mais des vérifications sont nécessaires.
Enfin les extraits de textes indiqués par les guillemets seront retranscrits comme sur les registres.
1792 - Les premières écharpes tricolores entrent en fonction.
Date: le quinzième jour du mois de mars
Maire: Dominique Richard
A noter: La réunion se tient dans le lieu de Caramaing. Nous sommes en pleine révolution mais Louis XVI est toujours roi; l'assemblée porte le nom de conseil général de la commune (et non municipal).Le maire est assisté de deux officiers municipaux et d'un procureur.
A la demande du procureur de la commune, François Bedos, qui a fait remarquer que la commune ne disposait pas « d'écharpes aux trois couleurs de la nation pour marque distinctive du maire, officiers municipaux et procureur, conformément à la Loi... il a été unanimement délibéré qu'il est très hutille et nécessaire d'acheter quatre écharpes pour le prix de cinquante deux Livres. »
Remarque complémentaire: Tous les élus ont signé d'une croix. Il y avait à la mairie un greffier du nom de Grand.
1802 - La tranquillité communale est troublée par... un vol de dindon.
Date: dix septième thermidor l'an dix de la République française (soit le 5 août)
Maire: Cir Vaysse
A noter: Nous sommes maintenant en république et le calendrier révolutionnaire est passé par là. Il s'agit d'une comparution dans la maison commune de Caramaing. Le terme d'adjoint est aussi rentré dans le vocabulaire.
« Par devant nous Cir vaysse et Jean-baptiste Laforgue, adjoint, est comparu le citoyen françois Gély fort domicilié audit Caramaing, lequel a porté un petit dindon que sa fille avait pris au citoyen jean Rolland domicilié audit Caramaing, ycy présent, lequel l'a reçu des mains dudit Gély fort et quarante-huit francs, pour les frais accord fait entreux moyenant quoi ils mettaient fin a cette affaire, prometant l'un et l'autre de vivre Bons amis d'haurenavant... »
Remarques complémentaires: L'emploi des majuscules est approximatif à cette époque. Le maire sait écrire, l'adjoint non et Grand s'intitule maintenant secrétaire et non plus greffier.
1812 - L'héritier de l'ancien seigneur revendique ses droits.
Date: le vingt et unième jour du mois de juin
Maire: Cir Vaysse
A noter: C'est maintenant le conseil municipal qui se réunit mais toujours de la commune de Caramaing. Le calendrier révolutionnaire a déjà été abandonné. Nous sommes sous l'Empire; Napoléon 1er a autorisé le retour des nobles émigrés et certains comme le fils du dernier seigneur réclame, 23 ans plus tard, les droits que détenait son père avant la Révolution (voir le texte François de Mauléon Narbonne, seigneur de Caramany)
Monsieur Mathieu-Antoine de Mauléon a saisi le tribunal de l'arrondissement de Perpignan « aux fains de voir dire et déclarer que celuicy est seul propriétaire de la (dite) montagne de valderbe. »
Le conseil municipal a été de l'avis unanime « d'autoriser le Maire à défendre les intérêts de la commune et des abitans et tenanciers de Caramaing contre la prétention dudit Monsieur de Mauléon. » Le maire avait en préambule présenté l'argument sur lequel il fallait s'appuyer: « depuis un temps immémorial... la commune de Caramaing ainsi que ses abitans et tenanciers ont été dans la paisible possession de faire paquager leurs troupeaux et de faire du bois sur une partie de la montagne de Valderbe qui était et est encore une partie de terrin communal sans que jamais le cidevant Seigneur de Caramaing ay tenté de troubler les dits habitants et tenanciers dans leur paisible et tranquile possession; et ce nonseulement avant la Révolution mais même depuis. »
Remarque complémentaire: En plus du maire qui semble être l'auteur du compte rendu, trois conseillers savent écrire: Barrière, Gély, et Estebe qui sait au moins écrire son nom. En 10 ans, soit l' illettrisme a un peu reculé, soit on mesure mieux l'intérêt de savoir lire et écrire pour gérer les affaires de la commune.
1822
Maire: Dominique Fourcade
La commune a t-elle vécu une période troublée, des pages ont-elles été perdues? En tout cas l'année 1822 ne figure sur aucun registre.
1832 - Comment construire un vrai pont... sans argent?
Date: 5 mai à huit heures du soir
Maire: Jean Estèbe
A noter: Depuis quelques années, on mentionne définitivement Caramany et conseil municipal. Après la République et l'Empire, nous sommes à nouveau sous un régime monarchique: en 1832 c'est Louis-Philippe 1er qui règne. Ce sera le premier et le dernier Roi des Français. 10 signatures terminent ce compte rendu et l'écriture s'est nettement amélioré.
« Monsieur le Maire ayant ouvert la séance a exposé à l'assemblée les avantages qui résulteraient pour la commune de la construction du pont projetté, il a en conséquence proposé d'établir une imposition extraordinaire sur tous les habitants de la commune; en observant que vu l'affreuse misère qui pèse sur la presque totalité de ses administrés et en conséquence l'impossibilité de se libérer en argent, cette imposition serait votée en nature et répartie sur les contribuables par classes selon leurs facultés et quelle serait néanmoins calculée en argent sauf à chaque contribuable à se libérer de la manière qu'il jugera à propos en comptant le taux de la journée pour les hommes à un franc vint cinq centimes et celle des femmes à ... (non complété)
Les membres présents à l'assemblée, après avoir entendu Mr le Maire, ont pris ses observations en considération, et malgré qu'ils aient envisagé la misère affreuse des habitants de cette commune, pour donner cependant à Mr le Préfet une preuve incontestable du désir qu'ils ont de voir réussir le projet dont il s'agit; ils ont cru devoir s'imposer des sacrifices presque au dessus de leurs forces. A cet effet, ils ont voté à l'unanimité une imposition de deux mille cent soixante onze francs, répartie sur 117 contribuables divisés en huit classes lesquels figureront sur un état qui sera joint à la présente délibération et adressée à Mr le Préfet pour être soumise à son homologation. »
1842 - Il est temps de construire une maison d'école !
Date: le quinzième jour du mois de mai
Maire: Pierre Rolland
« Mr le Maire a exposé à l'assemblée que la commune avait besoin d'un terrain pour servir à la construction de la maison d'école quelle se propose de faire. En conséquence et le propriétaire consentant à céder sa propriété au prix de cent quarante cinq francs ou sur estimation contradictoire, Mr le maire propose de faire l'acquisition de ce terrain qui lui paraît convenable... »
Le conseil est bien sûr d'accord « et ose se promettre que le gouvernement viendra au secours de la commune qui fera tous les sacrifices que sa position lui permettra. »
Le compte rendu précise également que le terrain appartenant aux Sieurs Geli Pierre et Calvet Pierre, les héritiers, est attenant au presbytère n° 225 du plan cadastral, d'une contenance de 72 centiares de 1ère classe et d'un revenu de 15 centimes d'après l'extrait de la matrice cadastrale.
1852 - Une république qui n'en a plus que le nom.
Date: le neuvième jour du mois de mai
Maire: Charles Estève
« Nous Estève Charles, maire de la dite commune de Caramany après avoir donné lecture de l'article 14 de la constitution ainsi que de la circulaire de Mr le Préfet en date du 20 avril 1852 inséré au recueil des actes administratifs avons prêté serment en présence dudit conseil. Je jure obéissance à la constitution et fidélité au Président.
Vaysse Louis, notre adjoint auquel nous avons fait lire la même formule a dit Je le jure.
Tous les conseillers ayant prononcé individuellement
Rolland Pierre Conseiller a dit Je le jure... »
Suit la liste des conseillers et à chaque fois la mention Je le jure. Mais ce n'est pas tout, pas question d'être absent pour éviter de prêter serment:
« Estève Jean, n'ayant pu assister à la séance à cause d'une maladie a prêté le serment voulu par la loi par écrit et nous la remis.
Gillard Jean n'ayant pu assister à la séance à cause d'une maladie a prêté le serment voulu par la loi par écrit et nous la remis. »
Mais cela ne suffit toujours pas, le Président exige que les employés municipaux prêtent aussi serment.
Le 26 juin, après avoir écouté la lecture par le maire des mêmes textes, le secrétaire Estève Raymond et le crieur public Foussat François jurent obéissance à la constitution et fidélité au Président.
Remarque historique: Suite à la petite révolution de 1848, la II ème république avait été proclamée. Pour la première fois dans l'Histoire de France un président avait été élu. Mais ce n'était sûrement pas le bon choix puisqu'il s'agissait de Louis- Napoléon Bonaparte, par ailleurs prince et neveu de Napoléon 1er. Par un coup d'état le 2 décembre 1851, il impose une constitution qui lui permet de garder le pouvoir alors que son mandat se terminait. C'est à cette constitution qu'il fait jurer obéissance. Mais ce n'est qu'une transition puisque le 7 novembre 1852, il proclame l'Empire et devient empereur le 2 décembre.
1862 - Le pont n'est toujours pas construit.
Date: le 1er mai
Maire: Louis Vaysse
A noter: Nous sommes sous le second empire, les lois sur le travail sont pratiquement inexistantes et le 1er mai n'est pas un jour férié, ce qui explique la réunion ce jour-là..
« Mr le Maire a présenté à l'assemblée les pièces au nombre de cinq, comportant le projet de construction d'un pont en maçonnerie sur la rivière de l'Agly, chemin de grande communication n°9...
Les voeux du conseil étant unanimes pour la construction de ce pont, il est pris la délibération suivante:
Considérant que le chemin de grande communication n°9 de Vingrau à Rabouillet est d'un très grand intérêt par suite des débouchés d'un grand nombre de communes telles que Sournia, Rabouillet, Prats, Pésilla, Trévillach, St Paul, Ansignan et autres; qu'un pont en maçonnerie est indispensable sur la rivière l'Agly, le conseil municipal appuie de la manière la plus énergique le projet de construction de ce pont et émet le voeu qu'il soit exécuté le plus promptement possible. »
Remarque complémentaire: Comme les textes insistent sur le fait que le pont sera en maçonnerie, on peut penser qu'il y avait auparavant un ouvrage pour traverser mais moins solide. Certains textes que nous retrouverons dans les autres millésimes parlent de passerelle.
1872 - Et si Caramany avait eu... une gare?
Date: le huit février
Maire: François Vaysse
Le conseil général envisage la création d'une ligne de chemin de fer de Rivesaltes à Quillan.
« Le conseil municipal... considérant que le chemin projeté en longeant la vallée de l'Agly, offrirait des avantages immenses dans nos contrées et qu'il ouvrirait un accès facile aux huiles, aux laines, aux vins, aux minerais de fer et aux carrières de marbre qui se trouvent en grande quantité dans les parties qui seraient traversées, que par réciprocité ces mêmes contrées trouveraient un écoulement facile de leurs produits dans les départements de l'Aude et des Pyrénées Orientales, par ces motifs, émet le voeu que ce chemin se dirige d'Estagel vers St Paul en longeant la vallée de l'Agly au lieu de suivre la route nationale N° 117 qui traverse la territoire de Maury.
Le dit conseil, à l'unanimité cèdera gratuitement à la compagnie tous les terrains communaux qui seront traversés par ledit chemin et lui permettra, en outre, de faire usage du marbre pour toutes les constructions à faire et nécessaires à la ligne. »
C'était généreux... mais on connaît la suite. La solution la plus facile et donc la moins onéreuse a été retenue. Que seraient devenues Rasiguères, Caramany, Ansignan avec un petite gare? Nous ne le saurons jamais.
1882 - La population est nombreuse et la notion de patrimoine n'existe pas.
Date: le dix-sept février
Maire:François Vaysse
Le cimetière étant certainement trop petit par rapport à la population, 516 habitants à cette époque, le conseil municipal jugeant que le jardin du presbytère était « une partie superflue » avait demandé au préfet de l'annexer au cimetière. Celui ci a répondu par lettre du 13 courant.
« Le conseil municipal, après avoir pris connaissance de la lettre sus-mentionnée regrette beaucoup que la distraction du jardin du curé, tout en étant une partie superflue du presbytère, ne puisse s'effectuer qu'à l'aide d'une procédure très longue, sans grande chance d'aboutir;
dans cette considération, il abandonne le projet d'annexion dudit jardin, et prie M. le Préfet de vouloir bien autoriser M. le Maire à employer la somme de 189 francs 80 que la commission départementale a accordée à la commune de Caramany pour agrandissement du cimetière, à déblayer l'emplacement occupé dans l'intérieur du cimetière par une vieille chapelle en masure en ruines, travail qui agrandirait le cimetière d'un are environ.(NdA: cette demande a été approuvée le 19 novembre 1882, malheureusement pour nous!)
Remarque complémentaire: Cette découverte confirme ce qui était dit dans l'article "la carte de Cassini". La légende mentionnait les ruines d'un hameau avec un édifice religieux. Le besoin d'agrandir le cimetière a fait disparaître les traces de ce qui était la première église Saint Etienne de Caramany, et non une chapelle. Sa présence est bien indiquée sur le cadastre de 1833. Seules doivent subsister quelques pierres dans les murs. Nous aurons, sans nul doute l'occasion d'y revenir.
Sources:
-
archives communales: registres de délibérations
Photos:
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délibération du 17 thermidor de l'an dix
- délibération du 15 mai 1842
-
portrait du prince président 1852
-
cadastre communal de 1833 portant mention d'une "mazure ancienne église"
- Précédent : Les années en 2: de 1892 à 1992
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