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Meloe majalis: Cantharides à Caramany
- Détails
- Publié le: 30/05/2011
- Auteur: Philippe Garcelon
Ci-dessus, photographie réalisée le 12/05/2014 par Michel Robert.
Une longue promenade sur les hautes crêtes qui surplombent le village fut pour moi l’occasion de découvrir aux alentours des 500 mètres d’altitude, plusieurs spécimens d’un coléoptère peu commun. D’abord de par sa taille, bien plus importante qu’aucun insecte que je n’avais vu jusqu’alors et ensuite, relativement à sa forme. Sa tête doté d’antennes et son thorax me firent initialement penser à une espèce de fourmi monstrueuse. Cependant, la présence d’élytres chassa cette idée de mon esprit. Ces élytres, étaient si réduites en regard d’un abdomen disproportionné, qu’elles ne le recouvraient que très partiellement, laissaient apparaitre des bandes couleur orangé qui me laissèrent perplexe devant ma découverte.
Je dus attendre de rentrer à Caramany où je disposais à « La Borde » d’un guide entomologique qui me permit d’identifier cet étrange coléoptère comme étant un berberomeloe majalis, communément nommé méloé.
Cet insecte est assez rare en France, quelques spécimens ont été cependant répertoriés à proximité des côtes du Languedoc Roussillon. En revanche on le trouve plus fréquemment sur la totalité de la péninsule ibérique ainsi que sur la bordure méditerranéenne du Maroc de l’Algérie et de la Tunisie, comme le montre la carte de répartition de son habitat.
Le méloé et les entomologistes:
Le berberomoleo majalis ou meloe majalis (Méloé de mai) appartient à la famille des méloïdés ou cantharides.
Les premiers méloés furent répertoriés par le célèbre naturaliste suédois Carl Von Linné (Linnaeus) vers 1758. Cependant, comme nous le verrons ils étaient connus depuis plus longtemps.
Parmi les entomologistes de la fin du XIXème et début du XXème siècle qui ont étudié les mœurs de ce coléoptère de manière plus approfondie, j’en ai identifié deux sur lesquels je souhaite ici m’arrêter. Il s’agit en premier lieu de Jean Henri Fabre, qui lui réserve deux chapitres de ses célèbres Souvenirs entomologiques dans lesquels il traite des particularités de la larve des méloés, à travers des articles intitulés respectivement "Larve primaire des méloés » et « l’Hypermétamorphose », que l’on peut consulter sur les liens suivant :
http://www.e-fabre.com/larve
et
http://www.e-fabre.com/hypermetamorphose
Comme j’ai la chance de posséder les dix tomes de cet ouvrage de référence, j’ai pris soin de lire en détail ces deux chapitres, afin d’essayer de comprendre en quoi consiste cette « hypermétamorphose » qui caractérise la larve du méloé et d’en faire ultérieurement un court résumé. Cependant, avant d’aborder la phase de développement de cet insecte je ne peux faire l’impasse sur les premières lignes de la description qu’en fait J.H. Fabre.
Je le cite : « Les méloés, disgracieux scarabées, à lourde bedaine, dont les élytres molles baillent largement sur le dos comme les basques d’un habit trop étroit pour la corpulence de celui qui le porte. Déplaisant de coloration, le noir ou parfois se marie le bleu, plus déplaisant encore de forme et d’allure, l’insecte, par son dégoutant système de défense, ajoute à la répugnance qu’il nous inspire. S’il se juge en danger, le Méloé a recours à des hémorragies spontanées. De ses articulations suinte un liquide jaunâtre, huileux, qui tache et empuantit les doigts. C’est le sang de la bête… »
Le second entomologiste que je me dois également de mentionner ici est le Docteur Auguste Cros qui a produit des articles traitant plus particulièrement du berberomoléo majalis dont il a également effectué une étude détaillée, dans la région de Mascara en Algérie, tout au long de la première décennie du siècle dernier.
Auguste Cros peut être considéré comme un spécialiste du méloé majalis, compte tenu des nombreux travaux qu’il a publiés au sujet de cet insecte, notamment dans le « Bulletin scientifique de la revue d’histoire naturelle d’Afrique du Nord » (d’où sont issus les deux extraits que je produis ci-après), et aussi dans les annales de la « Société entomologique de France » et dans le bulletin de la « Société Royale entomologique d’Égypte »; il a même donné une conférence sur cet insecte lors d’un congrès international d’entomologie à Madrid en 1935.
Dans le premier extrait, ci-dessous, il mentionne l’abondance du Méloé durant une période comprise entre les mois de Mars et Avril. Pour ma part, j’ai pu l’observer dans les Pyrénées-Orientales au cours de la première semaine du mois de mai, ce qui est compréhensible compte tenu de la différence climatique avec l’Afrique du Nord.
Je reprends également ici une partie de sa description anatomique qui montre la précision du vocabulaire descriptif des entomologistes à une époque où la photographie ne permettait pas encore d’aider à cet exercice.
Anatomie du Berberomeloe:
La taille du méloé se situe entre 40 et 70 millimètres ce qui en fait un des plus grands coléoptères vivant en France. La femelle, comme pour beaucoup d’espèces est de plus grande taille que le mâle (Les individus que j’ai pu photographier sont tous des femelles). Le berberomeloe majalis se distingue grâce à ses rayures abdominales de couleur orange ou rouge sang. L’alimentation des adultes est essentiellement constituée de pollen. Leurs larves sont exclusivement parasitaires, vivant et se développant dans le nid de certains hyménoptères (l’ordre des hyménoptères regroupant les abeilles, les guêpes et les fourmis).
La lecture de Jean Henri Fabre (image ci-contre) nous apprend que le développement de la larve se fait en quatre phases distinctes qu’il nomme « hypermétamorphose » : La femelle pond une extraordinaire quantité d’œufs (2.000 à 10.000), comme pour pallier aux multiples dangers qu’auront à courir ses larves, car seule une infime partie de la ponte parviendra à l’état adulte. Le Méloé a l’étonnante faculté de reconnaitre les zones où les abeilles solitaires établissent leurs nids. Une fois seulement ces lieux atteints, il pondra ses œufs à même le sol. Au bout de quatre semaines ces derniers vont éclore laissant échapper une multitude de larves minuscules qui vont entamer alors leur périple en vue d’atteindre certaines variétés de fleurs de la famille des Astéracées ou « composées », comme par exemple les pissenlits ou la camomille. A ce stade déjà une grande partie des larves se perdra ou sera dévoré par d’autres insectes. Celles qui parviendront à s’établir sur les fleurs attendront alors le passage d’une abeille solitaire venant butiner. C’est à ce moment que la larve nommée « triongulin » ainsi nommé car les tarses (Sortes d’appendices de pattes de la larve) portent trois griffes munies de poils qui ressemblent à des ongles. Ce « triongulin » parviendra à se glisser dans le fin duvet qui tapisse l’abdomen de l’abeille où elle va demeurer solidement agrippée. Cependant, la larve parasite ne se détachera pas de l’abeille lorsque cette dernière rejoindra une des cellules de son nid pour y déposer des provisions en vue de nourrir sa future progéniture. Si c’était le cas, elle mourrait engluée dans le miellat. Elle attendra donc que l’abeille vienne enfin pondre un œuf dans cette cellule pour alors se détacher et rester agrippée à l’œuf fixé à la paroi qui surplombe la réserve de miel. C’est alors qu’elle commencera à dévorer l’œuf de son hôte. Notre minuscule larve mettra environ huit jours pour vider cet œuf de sa substance. Afin de ne pas s’engluer dans le miel qui remplit la cellule, elle va faire preuve d’une extraordinaire ingéniosité en utilisant l’enveloppe de l’œuf vide qui s’est aplatie en se desséchant et s’en servir comme d’un « radeau » flottant sur le miellat collant, qui lui serait fatal à ce stade de son développement. Une première transformation va alors s’opérer durant son séjour sur ce « radeau » au cours duquel elle va s’organiser pour pouvoir vivre dans un milieu gluant. On la nommera alors « seconde larve ». Elle se laissera ensuite tomber de son « radeau » pour venir flotter, immobile sur le miel dont elle va bientôt se repaitre, sa taille atteint 2 millimètres. Au bout d’un mois et demi environ elle atteint sa maturité. L’image ci-aprés la montre telle qu’elle se présente. (Le second extrait d’Auguste Cros ci-dessus la décrit à ce stade) La croissance de la larve s’est faite de telle sorte que cette dernière occupe la cellule dans une position qui va lui permettre de subir une nouvelle étape de son évolution. Elle va rester quelque jours dans un état stationnaire puis se contracter jusqu’à ce qu’apparaisse autour d’elle une sorte de pellicule épidermique l’enveloppant totalement. En quelques heures à peine se formera sous ce sac une masse blanche et molle qui va rapidement prendre une consistance solide et cornée de teinte fauve. Cette transformation aboutira à un état nommé « pseudo chrysalide ».
Au sein de cette nouvelle forme vit donc une autre larve, très ressemblante à la précédente qui à l’issue de cette transformation va déchirer son enveloppe pour s’en extraire. Deux jours plus tard, elle va de nouveau s’immobiliser et s’engourdir pour former une « troisième larve » à peu près identique à la « seconde larve ». Elle va rester ainsi durant quatre à cinq semaines à l’état de nymphe avant de libérer enfin un moléo dans sa forme définitive.
Les multiples et longues étapes de cette « hypertransformation » n’auront été que des mues sans que les viscères de l’animal ne subissent de transformation importante, comme c’est le cas pour certains autres insectes. Le moléo dont l’œuf est pondu fin mai n’apparaitra qu’à l’entrée de l’hiver. Selon J.H Fabre, il passera probablement le début de sa vie adulte à l’abri dans le nid de l’abeille solitaire avant d’en sortir au printemps pour s’accoupler et ainsi perpétrer son espèce.
Le "poison violent" du Meloe:
J’aurais pu arrêter ici mes investigations, si la curiosité ne m’avait poussé à chercher davantage, tant le caractère extraordinaire de ce coléoptère m’intriguait. Collectionneur de livres anciens, il se trouve que je possède un dictionnaire d’histoire naturelle en 15 tomes, publié en 1791 dans lequel j’ai trouvé de nouveaux renseignements sur le méloé que l’on nommait communément alors « Proscarabée » ou « Cantharelle ».
Ci-dessous, une portion du texte consacré au méloé qui m’a paru propre à nous situer son rôle quasi « historique ».
Un peu terrifiant non ?
Depuis l’antiquité on prête à la poudre issue de cantharides séchées des propriétés aphrodisiaques. Le Marquis de Sade (1740-1814) lui-même, semblait connaitre ces propriétés de la substance contenue dans l’excrétion huileuse des cantharides. Au cours de ses festins orgiaques, il offrait en effet à ses partenaires des gâteaux au chocolat ou des bonbons à l’anis dans la composition desquels il prenait soin d’introduire quelques extraits de cette substance.
Malheureusement la « cantharidine » possède en réalité des propriétés irritantes qui provoquent d’importantes inflammations des voies urinaires accompagnées d’une érection congestive du pénis qui peut dégénérer en une hémorragie rénale et dans certains cas, occasionner un arrêt cardiaque. La « cantharidine » (C10H12O4.) est un composé qui fut isolé en 1810 par un chimiste français nommé Pierre Jean Robiquet, connu essentiellement pour ses travaux sur les acides aminés.
Des recherches plus récentes montrent comment la sécrétion de « cantharidine » par un Méloé provoque de fortes irritations voire des cloques lors d’un simple contact. Cette substance est très dangereuse et sa la toxicité comparable à celle des poisons les plus violents comme la strychnine. A ce titre je ne peux que recommander au promeneur qui rencontrerait un tel insecte, d’éviter de trop le manipuler. Utilisé à des doses infinitésimales, la cantharidine entre dans la composition de deux préparations répertoriés dans la pharmacopée homéopathique: Le Méloé Majalis 1CH et le Méloé Vesicatorius 1ch.
Photos*: Philippe Garcelon - Michel Robert (photo d'en tête)
*Excepté photographie de J-H. Fabre.
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