- Précédent : Rencontre avec la flore carmagnole
- Suivant : Un chardon pas ordinaire
Orobanche & Cuscute
- Détails
- Publié le: 31/05/2011
- Auteur: Philippe Garcelon
Caramany est un lieu privilégié de par sa position géographique, sa richesse géologique et la variété de sa flore environnante. Ici, pourtant, une partie de la végétation sauvage si prolifique au printemps doit, durant l’été, affronter chaleur et sècheresse. Souvent contrainte à l’économie de ses ressources, elle adopte un état quasi-végétatif en attendant patiemment les quelques violents orages qui ne manqueront pas d’apporter leur manne salvatrice.
Végétaux parasites:
Nos plantes méditerranéennes ont également à faire face à d’autres menaces de la part de certaines de leurs congénères bien plus opportunistes qui se contentent de les parasiter pour se nourrir à leur détriment. C’est le cas par exemple de l’orobanche et de la cuscute que je me propose d’évoquer ici.
Ce n’est pas un hasard qui m’a poussé à m’intéresser à ces espèces végétales, mais bien le prolongement d’une recherche effectuée par Bernard Caillens qui l’a conduit à trouver une courte mention du village de Caramany, dans une publication de la « Revue générale de botanique » datant de 1892 (voir extrait ci-dessous)
Ce fil conducteur me donna envie de rechercher la présence d’orobanche sur le terrain. Hélas, la seule randonnée que je fus en mesure d’effectuer en mai 2011 dans les environs de Caramany ne me permit pas d’en trouver le moindre spécimen.
En revanche, elle m’a donné l’occasion d’identifier un pied de cuscuta epithymum, autre plante parasite, écologiquement similaire à l’orobanche.
La découverte de cette « cuscute du thym » qui en d’autres circonstances aurait suffit à me satisfaire, me laissa ici sur ma faim. Elle me donna même l’impression de s’être trouvée sur mes pas à la manière d’un de ces lots de consolation que l’on remet parfois à ceux qui n’ont rien gagné.Qu’elle ne fut pas ma surprise, deux jours après avoir quitté Caramany pour mon lieu de résidence à proximité de Toulouse, lorsque je tombais de manière totalement fortuite, nez à nez avec une orobanche au fond de mon jardin ! J’en pris immédiatement une photographie afin de m’en servir comme illustration sur cet article en me promettant toutefois de la remplacer, dès que j’aurais réussi à photographier une orobanche d’origine « carmagnole ».
L’histoire de l’agriculture nous apprend qu’au XIXème siècle le parasitage des cultures par la cuscute posait déjà des problèmes. En 1819, la « Société Royale et Centrale d‘Agriculture du département de la Seine » envisageait à ce sujet la mise en place d’un prix pour la destruction de la cuscute (Voir extrait ci-dessous).
L’orobanche:
L'orobanche est une herbacée annuelle parasitant les racines de nombreux végétaux en particulier celles des légumineuses. Elle est présente sur la quasi-totalité de notre territoire. Dans les régions tempérées on en relève plus de 150 espèces. Elle affectionne plus particulièrement les zones arides ou semi-arides et le bassin méditerranéen est considéré comme son centre de dissémination.
Elle s’attaque à de multiples plantes, sauvages ou cultivées dont elle est intégralement dépendante. Dépourvue de chlorophylle, elle est incapable d’amorcer le processus de photosynthèse. Dépourvue également de racines normales, elle ne tire aucun élément nutritif du sol. Pour pallier à ces handicaps, elle adopte un cycle biologique, original et déterminant pour sa survie, qui nécessite impérativement la présence d’une plante-hôte.
Le cycle biologique de l’orobanche comporte deux phases principales qui s’étalent sur une année au cours de laquelle la plante demeure totalement enfouie dans le sol avant de commencer son développement puis d’émerger pour entamer une phase dite « aérienne ». Pour découvrir les détails de ces phases, on suivra le schéma qui illustre un cycle complet.
Un pied d’orobanche produit de 50 000 à 500 000 graines dont la taille ne dépasse pas 0.2 à 0.3 millimètres. En suivant ce schéma on constate que ces dernières sont déposées sur le sol au grè des vents lors de l’ouverture des capsules. Il s’en suit une période variable durant laquelle les graines attendront d’être stimulées par une substance nommée exsudat racinaire, sécrétée par les racines de la plante-hôte.
Si cette stimulation n’a pas lieu, ou si la graine n’est pas dans la proximité d’une plante-hôte, elle est capable de patienter plusieurs années dans le sol. Ainsi, les recherches effectuées sur la variété d’orobanche qui parasite le colza (orobanche ramosa) ont permis aux botanistes de constater qu’une graine de cette espèce pouvait demeurer jusqu’à dix ans dans le sol avant de germer.
Supposons donc que notre graine ait été stimulée par sa plante-hotte. Elle devra encore patienter durant une période dite de conditionnement qui s’étale sur une quinzaine de jours, avant de pouvoir germer. Une fois la germination entamée, elle émettra un germe tubulaire nommé procaulôme qui s’allongera progressivement jusqu’à atteindre une racine de l’hôte. Le procaulôme ayant atteint sa racine-hôte subit alos un épaississement de son extrémité nommé appressorium qui se fixera à la surface de cette racine. Le germe qui ne parviendra pas à se fixer à sa racine-hôte est quant à lui condamné à une mort rapide, par manque de ressources.
L’appressorium se connecte ensuite avec les tissus de l’hôte, grâce à un processus de dégradation enzymatique qui accompagne une pénétration mécanique. Il en résulte la formation de suçoirs solidement attachés à la racine-hôte. Lorsque les vaisseaux de cette dernière sont atteints, il se forme une espèce de tubercule gélatineux dont la taille varie de 0,5 à 2.5 centimètres. Cet organe a pour rôle de prélever l’eau, les éléments nutritifs et les composés organiques dont l’orobanche a besoin. A ce stade on observe la formation de bourgeons qui commencent à émerger à l’air libre vers le mois de mars-avril. À partir de ces bourgeons se développe une hampe florale dont la croissance ne dure que quelques jours. Après cette floraison éphémère, arrive la période de la fructification à l’issue de laquelle l’orobanche se dessèche et les graines contenues dans ses capsules se repandent à terre. Dès lors un nouveau cycle se prépare.
La cuscute:
La cuscute est une autre plante parasite dont le cycle biologique diffère de celui de l’orobanche : La graine de cuscute entame sa germination ordinaire en juin. Au cours de cette première phase dite « libre », une tige commence à sortir du sol. La racine de la plante, qui se présente sous une forme renflée, demeure enfouie.
Vers la fin du mois de juillet, la tige de la cuscute cherche un support sur lequel elle pourra s’agripper, l’extrémité de sa pousse effectue pour cela des mouvements circulaires d’amplitude croissante, jusqu’à ce qu’elle entre en contact avec une tige-hôte, pendant cette phase la racine dégénère rapidement.
Une fois au contact de la tige-hôte, la pousse de la cuscute s’y enroule solidement puis développe des suçoirs qui la pénètrent jusqu’à atteindre les tissus qui véhiculent les substances nutritives. La plante, qui désormais se nourrit par ce biais, peut continuer sa croissance et progressivement envahir son hôte.
Au bout de cette période de développement, la cuscute entre en floraison. Vers la fin de l’automne a lieu la fructification qui donne naissance à des graines qui sont disséminées au sol où elles vont rester tout l’hiver en attendant le printemps pour recommencer un nouveau cycle.
Des espèces sous surveillance:
Comme nous avons pu le voir, l’orobanche, tout comme la cuscute sont considérées comme de véritables fléaux en raison des ravages qu’elles peuvent faire subir à certaine cultures (tomates, aubergines, carottes, betteraves, maïs, tournesol, vigne. etc.), occasionnant parfois de très lourdes pertes de rendement.
Compte tenu de leurs capacités à proliférer, le législateur a mis en place un « Passeport Phytosanitaire Européen (P.P.E) » réglementant l’importation des semences susceptibles de contenir des traces de ces parasites. Lien: https://draaf.occitanie.agriculture.gouv.fr/
Les multiples précautions prises par les agriculteurs pour éviter la prolifération de cette plante (nettoyage des outils et du matériel, arrachage et destruction par brûlage des plantes infectées, utilisation de semences certifiées…) ne sont souvent pas suffisantes pour venir à bout des « explosions » qui peuvent subvenir et, dans certains cas, rendre les champs totalement incultes. Ces agriculteurs mettent en place diverses stratégies de lutte qui font appel à de multiples moyens. Parmi ces stratégies, on peut citer les rotations de cultures, les semis tardifs, la solarisation des sols par paillage avant semis, la lutte biologique qui exploite d’autres organismes prédateurs de ces parasites ou encore l’utilisation de semis ou plantes résistantes et enfin le recours aux produits issus de l’industrie chimique.
En règle générale, le transport de ces végétaux parasites est fortement déconseillé. Inutile donc de vouloir s'en servir comme plante d'ornement, leur dépendance rend impossible toute culture isolée. Par contre le risque de contamination par les graines est trés important, compte tenu de leur longue durée de vie. Nous devons donc, avec ce type de plantes, prendre les même précautions que si l'on devait se protéger contre une maladie contagieuse.
La cuscute est connue sous d’autres appellation plus évocatrices comme: Fil de terre, cheveux de Vénus ou cheveux du diable, et entre dans certaines compositions médicamenteuses traditionnelles. J’ai ainsi trouvé qu’on soignait la « mélancolie », caractérisée par des phase dépressive ou des psychoses, en buvant une préparation dans laquelle on a fait macérer pendant 12 jours, 350g de plante entière de cuscuta epithymum dans 1 litre de vin blanc sec. Cela dit, je me demande si dans le cas présent, le principe actif d’une telle médication se trouve dans la plante elle même ou dans le vin blanc sec qui l'accompagne. Une tendance naturelle en tant qu'amoureux du terroir de la vallée de l’Agly, me ferait pencher (bien entendu « avec modération ») pour la seconde hypothèse.
En guise de conclusion, je souhaitais attirer l'attention sur le fait que l'on aurait de bonnes raisons de regretter que les dégâts causés par l’orobanche ou la cuscute soient autant de raisons supplémentaires pour l’industrie agro-chimique de remettre à l’ordre du jour l’idée d’un recours aux OGM associés aux Herbicides. A ce propos, je n’ai jamais cessé de me demander dans quelle mesure l’agrochimie n’était pas autrement plus néfaste pour notre environnement que les bénéfices qu’elle est supposée nous apporter. Une fois encore, nous pouvons mesurer la prédominance des facteurs économiques sur la préservation écologique des milieux.
Enfin, depuis de nombreuses années, je reste très attentif aux évolutions que la prise de conscience écologiste a induite dans nos comportements. Cependant, je constate que cette cause universelle génère elle aussi ses propres dommages collatéraux, identifiables à travers les comportements obtus de certains militants dont le « jusqu’au-boutisme » parfois violent tombe dans des travers décriés il y a déjà 20 ans par un Luc Ferry qui s’exprimait alors en philosophe, dans un essai intitulé Le nouvel ordre écologique, publié chez Grasset (1992).
NB: En date du 04/06/2013, je recevais un mail d'un de nos lecteurs, que je remercie de nous avoir signalé la présence d'orobanche, confirmant ainsi les ravages causés par cette plante. Voici le contenu de son courrier:
bonjour,
j'ai lu votre article sur l'orobanche, et je vous ai senti "déçu " de n'avoir qu'une orobanche dans votre jardin. J'habite Céret. Dans notre jardin, l'année dernière et mieux cette année, nous avons détruit jusqu'à 18 (dix huit) pieds d'orobanche par pied de fèves, puis ensuite sur les petits pois, voire même plusieurs, toutes seules au pied d'un muret. La plus grande mesurait (elle était cachée) 50 cm . Bref, il me semble grand temps de lancer l'alerte sur cette peste des jardins dont, à mon avis on va entendre parler plus vite qu'on ne pense lorsque les jardiniers amateurs vont s'apercevoir qu'elle détruit leurs plants et ruine leurs efforts.
PS : quand on les oublie dans la poubelle après les avoir arrachées, elles continuent à vivre sur leur réserve volée et elles se mettent à fleurir.
Ce lecteur que je remercie nous a même envoyé quelques images dont voici un montage ci-dessous. A droite, la carte de répartition de cette plante parasite (que j'ai identifiée ici comme l'orobanche "crénata"). On y constate que le département des Pyrénées-Orientales est effectivement touché par ce fléau qui gagne sans cesse du terrain.
Photo: Philippe Garcelon, excepté image ci-dessus: Jean-Yves Prud'homme © .
Sources :
- Extrait de la « Revue générale de botanique » 1892.
- Schéma du cycle de l’orobanche : publication du « CETIOM » (© CETIOM) 2011 et des chambres d'agriculture de la Vendée et des Deux-Sèvres.
- Le schéma du cycle de la cuscute est une adaptation d’un schéma de l’ouvrage « Phytopathologie » de Philippe Lepoivre.
- Précédent : Rencontre avec la flore carmagnole
- Suivant : Un chardon pas ordinaire