Caramany dans la presse régionale et nationale - 6
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- Publié le: 24/01/2023
- Auteur: Bernard Caillens
Les concours ont du succès
En un siècle, le monde de la communication a bien changé. Autour des années 1900, point de téléphone dans les maisons et encore moins dans la rue, point de réseaux dits "sociaux", la TSF n'avait même pas fait son apparition dans les chaumières carmagnoles. C'était le bon temps de la presse quotidienne écrite... pour ceux qui avaient les moyens de payer un abonnement, c'est à dire une infime minorité de foyers.
Les archives de la Bibliothèque nationale de France ne nous apportent pas d'informations sur la diffusion de l'Indépendant dans le village. Créé en 1846, il devait certainement avoir quelques abonnés. En revanche, elles nous révèlent que plusieurs familles locales lisaient la Dépêche, journal créé à Toulouse en 1870.
Pour fidéliser ou attirer ses lecteurs, la Dépêche organisait des concours qui ne laissaient pas les Carmagnols indifférents.
Les concours "devoirs de vacances"
Il y avait d'abord ceux destinés à la jeunesse. Pour y participer, il fallait acheter le fameux cahier de vacances proposé dans le cadre scolaire et souvent recommandé par les enseignants, puis faire preuve de sérieux et de rigueur pour le rendre bien rempli dans les temps.
C'est ainsi que nous apprenons que l'été 1908 aura été studieux pour deux petites filles du village. Et leur mérite n'est pas mince puisque le journal nous annonce que sur 20 000 cahiers vendus, 3 177 ont participé au concours.
Il s'agit de Jeanne Blad qui se classe 21 ème ex aequo de la section de CE1 et qui gagne un diabolo, et de Gabrielle Marcerou qui remporte le 12 ème prix ex aequo de la section de CM2, un beau volume relié. Vous avez certainement noté que ces noms de famille apparaissent très rarement dans les rubriques du Pari du lac et vous avez raison. Ceux qui les portent n'ont été que de passage à Caramany ; cela est dû à leur statut de fonctionnaire.
Jean Blad était le facteur arrivé au village grâce à la création d'un bureau de poste en 1907; il travaillait donc et logeait certainement avec sa famille dans la maison Molins sur la Grand rue, face à la place publique.
Monsieur Marcerou résidait à quelques mètres car c'était l'instituteur. Il s'appelait Michel mais on ne nomme pas un instituteur par son prénom. Comme le curé, il a droit au titre de Monsieur ; lorsqu'on parle entre Carmagnols de Monsieur, Madame ou Mademoiselle, il est question des enseignants et cette habitude se perpétuera tout au long du siècle. J'en ai été témoin enfant et je l'ai vécu à titre professionnel au village voisin de Rasiguères. Monsieur Marcerou donc, s'occupe de la classe des garçons et du secrétariat de mairie à partir du mois de mai 1905. Concerné par l'ordre de mobilisation du mois d'août 1914, mais déjà âgé de 43 ans, il sera incorporé au 126e Régiment territorial d'infanterie à Port-Vendres de février 1915 à octobre 1916, avant de retrouver son école et ses élèves.
Après son succès en CM2, sa fille Gabrielle poursuivra sur sa lancée. Dans La dépêche du 27 février 1910 qui rend compte du concours de l'été 1909, elle est classée deuxième pour le Cours supérieur et reçoit une bourse en argent. Sans nul doute bonne élève, son père la présente au Concours Général. C'est un concours national et officiel, organisé par le Ministère de l'Instruction publique, dans lequel les meilleurs élèves du pays affrontent des épreuves d'un très bon niveau. C'est le Manuel général de l'Instruction primaire du 15 juillet 1911 qui publie les classements. Dans la catégorie filles de plus de 13 ans, Gabrielle est 47ème avec un score de 60 points dont nous avons même le détail : 15 en orthographe et analyse (également appelée questions de la dictée), 14 à l'écriture, 13 en composition française et 18 en calcul.
Dans la famille Blad, René prend la suite de Jeanne et participe tous les ans à partir de son entrée à l'école. Il sera 5 ème en 1915, 8ème section CP en 1916 avec une boîte d'excellent chocolat, 3 ème section CE2 en 1918 avec 10 francs en espèces et une médaille de bronze, 2ème section CM1 en 1919, avec 15 francs en espèces et la médaille d'argent.
Une autre famille a participé à ces concours. Théophile Burriel, élève de CM2 a été lauréat en 1913 à la 104 ème place. C'était le fils de Pierre Burriel y Ginebra, venu s'installer comme boulanger à Caramany où il avait épousé Augustine Foussat, dite Delphine.
Les concours pour les adultes
Pour augmenter son rayonnement, la Dépêche ne se limitait pas aux familles ayant des enfants ; elle utilisait aussi les dates remarquables de l'année pour proposer des concours aux adultes en général. Et avec un certain succès puisque le nombre de participants s'élevait à plusieurs milliers.
Furent primés à l'occasion du concours de Noël, en 1923 Noël Richard (le bien nommé) qui obtient la 860 ème place, en 1933 Berthe Solère, à la 4 238 ème place et Thérèse Vignaud à la 8 069 ème.
Joseph Solages, quant à lui, se distingua à la 3 043 ème place au concours de l’œuf de Pâques en 1938, sans que l'on ait plus de précisions.
D'autres actions permettaient également de mobiliser les abonnés ; par l’intermédiaire de ses correspondants et dépositaires locaux, le quotidien organisait des souscriptions lors d'événements graves. C'est ce que fit en 1930 son dépositaire de Caramany, Eugène Estève qui recueillit 187 francs. L'article en date du 23 mars est simplement intitulé Pour les inondés. Au vu des nombreux dons qui affluent de tous les départements du grand sud-ouest et de l'importance de la somme énorme recueillie à la date de parution, 515 734 francs, l'événement pluvieux a dû être intense et dévastateur.1
Pour terminer ce petit inventaire de lecteurs carmagnols, il convient de mettre à part un notable de la commune. Monsieur le curé était bien abonné à un journal mais pas à la Dépêche.
Aux informations régionales, l'abbé Vilanove préférait les informations tournées vers l'international qu'il pouvait lire dans le Soleil. Sur un plan plus politique on peut aussi dire qu'il préfère, à un quotidien plutôt républicain et laïque, un quotidien monarchiste fondé en 1873 à Paris qui prône le rassemblement de tous les royalistes.
Ce qui ne l'empêchait pas d'aimer la langue française. En 1908 il participe au concours des a. Il s'agissait d'écrire un récit en 317 mots et d'y employer le plus grand nombre possible de a.
Le numéro du Soleil daté du 1er août 1908 publie le texte du gagnant intitulé Caravane extraordinairement extravagante et nous révèle que Charles Vilanove2 à Caramany PO remporte le 21 ème prix (pour un classement national ce n'est pas si mal ) et reçoit un appareil photographique « Sinnox » d'une valeur de 75 francs. A noter que le premier prix était une voiture d'une valeur de 14 000 francs.
A défaut d'être le premier conducteur du village, Monsieur le curé s'est-il lancé dans la photographie, une invention toute nouvelle à son époque ? En tout cas, ce n'est pas une photo qu'il nous a laissée à son décès dans le presbytère, mais un tableau peint sur toile présentant une vue générale du village qu'il aimait tant.
Notes :
1 Effectivement, de violentes pluies du 1er au 4 mars dans le bassin du Tarn ont causé des crues qualifiées de centennales. A Moissac et à Montauban, la crue sera dévastatrice. « Des milliers de maisons, des dizaines de ponts et de kilomètres de routes et de vois ferrées seront endommagés ou détruits faisant des centaines de morts. Les départements de l'Aude, du Lot et Garonne et du Tarn seront aussi touchés… » Le 9 mars, le Président de la république Gaston Doumergue, originaire du Midi, décrétera un deuil national.
2 Curieusement le journal a noté Charles Vilamorée. Ce patronyme n'existant pas à Caramany, soit il s'agit d'une erreur d'impression, soit Monsieur le curé a un peu modifié son nom. A t-il craint que ses paroissiens apprennent qu'il s'adonne à des jeux, aussi littéraires soient-ils ?
Sources écrites :
registres d'état-civil, mairie de Caramany
Sources numériques :
site www.retronews.fr Le site de presse de la Bibliothèque nationale de France
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k39892896/f3.item Manuel général de l'Instruction primaire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Inondations_de_mars_1930_dans_le_bassin_du_Tarn
Photos :
1 La une de La Dépêche - retronews
2 Monsieur Marcerou et ses élèves - archives personnelles
3 Le tableau du curé Vilanove toujours présent au Caveau du Presbytère.