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Le négoce du vin au début des années 1900

 Caramany et la vigne, c'est une vieille histoire qui dure peut-être depuis le début de notre ère.1 Au XIX ème siècle, la vigne est peu à peu devenue la culture principale et nos paysans devenus viticulteurs ont dû affronter des années tragiques: en 1878, la destruction du vignoble par le phylloxera et un peu plus tard, la crise de la mévente qui a entraîné la fameuse révolte de 1907. La misère, les épreuves endurées allaient faire avancer les idées de solidarité, de protection collective et de coopération. C'est ainsi qu'à Caramany, on créait en 1896 la société de secours mutuel « la Fraternelle » et en 1923, on commençait la construction de la cave coopérative 2 qui allait regrouper la totalité des vignerons de la commune.

Avant que n'existe la cave coopérative, chaque producteur élaborait son propre vin et essayait d'en tirer le meilleur prix en le proposant à un négociant.

Les carnets de Paul Gély-Fort, propriétaire-viticulteur et négociant en vins 3 nous apportent énormément d'informations sur l'activité générée par cette quasi monoculture dans les années 1909 à 1923. 

Le vin, moteur de l'économie pour tout un village village-et-vignes

Grâce à son négoce, Paul Gély-Fort écoulait d'abord sa production qui s'est nettement développée au sortir de la terrible guerre 1914 -1918 puisqu'il note les déclarations de récolte suivantes:

1918: 276 hectolitres

1919: 500 hectolitres

1920: 420 hectolitres

1921: 370 hectolitres.

Mais il permettait aussi aux autres vignerons d'écouler la leur: on retrouve, au hasard des pages, le patronyme de nombreuses familles du village. Une longue liste, preuve que l'existence de chaque foyer était liée à la culture de la vigne.4

Armingaud Alphonse

Calvet Jules

Foussat charles

Pujol François

Asther Joseph

Chauvet ?

Foussat Joseph

Ribes Joseph

Asther Louis

Climens ?

Foussat Louis

Richard ?

Aubert Pierre

Couronnes ?

Gély Baptiste

Rozès Léonard

Auriol Pierre

Dabat Justin

Gély Clément

Sabineu Jean

Barilles ?

Dabat Nicolas

Gély Sylvain

Sabrazès

Barrière louis

Delonca Albert

Gillard Alphonse

Salles Antoine

Bascou jean

Delonca Edmond

Guillemal Marcel

Saly célestin

Bédos ?

Delonca François frères

Joulia ?

Saly Joseph Boubé

Bergès Marius

Delonca Gustave

Lacourt Justin

Saly Paul

Bergès Charles

Delonca Joseph rabot

Lacour Joseph

Sola Joseph

Burriel Pierre

Delonca Julien

Lacour Prosper

Solère Auguste

Cabannié ?

Delonca Thérèse

Lacourt Olivier

Solère Etienne

Caillens Antonin

Dimon François

Lafforgue François

Tressère Eugène

Caillens Casimir

Dimon Pierre

Lafforgue Jean

Tressère Justin

Caillens Jean Bichère

Estèbe Jean

Marty Léon

Vignaud Emile

Caillens Jean Baudet

Estève Jean-Baptiste

Molins (Antoine)

Vignaud François

Caillens Joseph-Roch

Estève Jean-Marie

Olive Léon

Vignaud Joseph

Caillens Martin

Fabre Baptiste

Pratx pierre

 

Caillens Pierre

Foussat Agnès

Peyralade

 

Calvet Pierre

Foussat Achille

Pistoulet (surnom)5

 

 De plus lorsque la quantité ou la qualité locale ne suffisaient pas, Paul Gély-Fort achetait aussi du vin à Bélesta (Sire), à Lansac (Barbaza,Capela, Salvat, Vidal), à Cassagnes (Pélissier, Barraut), à Rasiguères (Parès), à Saint Arnac (Bès), à Ansignan (Pech), à Montner (Garrigue) et même à Corbère , à Ille, Néfiach ou Millas. 

Les expéditions: 

pressoir-dans-la-rueComme pour la plupart des régions françaises, c'est le développement du chemin de fer qui a permis la vente des produits locaux vers l'ensemble du territoire national. Le développement du négoce de Paul Gély-Fort n'a été rendu possible que par l'existence de gares proches et l'ouverture au village d'un bureau des PTT car les relations avec ses clients généraient aussi une correspondance pratiquement quotidienne et il utilisait donc les services du courrier et des télégrammes. Transports et communications, deux éléments qui n'allaient cesser de se développer au cours du XXème siècle et dont on voit ici l'importance jusque dans les milieux les plus ruraux.

L'envoi des commandes aux clients se faisait en fûts ou barriques qu'il fallait acheminer par chariot par les routes étroites que nous avons connues jusque dans les années 1990 vers les gares d'Ille sur Têt ou Saint Paul de Fenouillet. La gare d'Estagel était également utilisé pour le vin provenant de Montner puisque c'est clairement indiqué sur une facture du 29 octobre 1912, peut-être aussi pour celui provenant de Rasiguères et Lansac.

Un ou plusieurs emplois de charretiers existaient au village 6. Sur une facture du 5 décembre 1909, on relève « port de 5 fûts Ille à Caramany (payé journée à 1 homme) 2,50 francs »

Les expéditions se faisaient essentiellement par fûts, bon nombre de factures portent l'inscription, en dessous du volume livré, de mise en gare de x fûts à 5 f l'un (1911), mais elles pouvaient aussi aller de la simple bonbonne au wagon entier:

Monsieur V à Ille sur Têt doit le 17 juillet 1912 une bonbonne de 12 litres à 30 francs l'hecto soit 3,60 francs. Par contre Monsieur A. à St Chely d'Apcher achète par wagon. Voici sa facture du 30 avril 1912

« -1 wagon réservoir SWF 377.165 131 hectolitres à 25 f l'hecto 3275

- commission 131

- mise en gare 22 fûts à 5 f l'un 110

- remplir le wagon 6

- 6 acquits 3 soit 3525 francs. »

Le client s'engageait à renvoyer à l'expéditeur les fûts qui étaient marqués PGF et numérotés , dans le cas contraire, ils étaient facturés comme l'atteste la page 39 du carnet de 1909:

« Madame C. avenue de la gare à Concarneau, 1 barrique mi-rouge marque PGF n°3 franco gare, fût perdu valeur au 15 octobre, 80 francs. »

Il va sans dire que les barriques devaient être rendues en bon état sinon les réparations étaient comptées dans la facture suivante « facture du 18 mai 1910, réparation 1 barrique: 2,50 francs ».

Les paiements se faisaient par mandat-postal ou par traites. Les premières pages du carnet de 1909 mentionnent des  lettres chargées comme ce 28 novembre 1909: «  Reçu en escompte de Monsieur A, St Chély d'Apcher lettre chargée de deux mille francs. » Parfois cela se faisait même de la main à la main. « 29 juillet 1923: remis mille francs à mon fils à Paris. » ou encore « reçu des mains de Monsieur F, le 3 mars (1923) à Ille la somme de francs onze mille. » C'était une époque où l'on se faisait confiance. 

Les prix pratiqués en ce début de 20ème siècle: 

Les ventes concernent surtout le vin rouge mais il est difficile de donner un prix moyen. Les prix pratiqués semblent dépendre de la qualité du vin proposé puisqu'ils varient d'une cave particulière à l'autre, du type de vin mais aussi du cours du marché. Pour donner une idée voici quelque exemples concernant les deux années les plus éloignées de cette recherche soit 1909 et 1923.

En juillet, août et septembre 1909, l'hectolitre de vin était vendu selon le vigneron fournisseur de 7,50 francs, prix le plus bas à 12 francs. Le vin proposé par la cave Vignaud Joseph allant même jusqu'à 14 francs.

En novembre 1909, le prix de l'hectolitre passe déjà à 18 francs, celui de la cave Estècoudouminesve qui était vendu à 7,50 francs étant lui passé à 16 francs soit plus du double en 4 mois.

Une facture du 23 septembre1909 atteste de la vente pour la cave Climens d'1,10 hectolitre de vin blanc à 25 francs l'hecto. Le prix pouvait être variable: le 12 janvier 1910, Paul Gély-Fort vend 110 litres de vin blanc de sa propre récolte à 40 francs l'hecto.

En mai 1923, l'hectolitre était vendu 70 francs l'hecto, parfois 80 francs; l'augmentation des prix est donc significative en 14 ans. Certaines factures portent des mentions pour justifier un prix plus élevé comme vin à 13°, vin rouge garanti naturel, vin rouge supérieur titrant 12°. En novembre 1920, ce dernier intitulé permet de demander un prix de 110 francs l'hecto.

A noter que l'appellation «vin rouge supérieur  Côteaux de Caramany 11,5 » apparaît pour la première fois dans une facture du 28 novembre 1922 adressée à Madame S. à Saint Eloi, Côtes du Nord. 

Les vins de Caramany se dégustent dans toute la France. 

Il serait trop long de reproduire ici la liste des clients que j'ai relevée. Presque tous les départements français sont représentés, des plus proches comme l'Ariège (Bélesta, Lavelanet, Pamiers, Bédeillac)ou l'Aude (Axat, Limoux Chalabre) aux plus éloignés, les Côtes du nord actuellement Côtes d'Armor (Saint-Brieuc ), le Finistère (Concarneau), le Haut-Rhin (Willer, Barienback) en passant par Paris, Marseille, Toulouse ou encore, ce qui est plus surprenant Bordeaux.

Les clients peuvent être de simples particuliers, des professionnels du négoce des vins reconnaissables aux quantités demandés ou des professionnels de la restauration. On peut citer de manière non exhaustive:

  • l'union coopérative d'Argentan, Orne

  • le grand hôtel à Saint Gaudens, Haute Garonne

  • les vins en gros à Henin-Liétard, Pas de Calais

  • les vins Lutriger à Willer, Alsace

  • les vins et spiritueux de Saint Etienne, Loire

  • l'hôtel du cygne à Gisors, Eure

  • la société coopérative de Saint Rémy sur Arre, Eure et Loire

  • le restaurant du Tournebusc à Paimpol

  • les vins Carrère à Osséja

  • les vins Fortuny à Osséja également,

  • les vins Thomas à Brouvelieures, Vosges

  • l'auberge de Huos par Gourdan-Polignan, Haute Garonne

  • le café restaurant de Barfleur, Manche,

  • L'hôtel du commerce à Saint Bertrand de Comminges, Haute Garonne

  • Monsieur R, épicier à Tarascon, Ariège

  • Monsieur C, épicier à Danville, Eure

  • Monsieur J, épicier à Grenoble Isère

  • l'hôtel de Champillet, Indre

  • le buffet de la gare à La Châtre, Indre

  • la soeur économe du pensionnat de la Providence à Saint Brieuc,

Le vin de Caramany, déjà à cette époque,traversait les frontières 7. On retrouve deux clients en Suisse, l'un à Versoix, près de Genève, l'autre à Couvet, un autre à Waregem en Belgique, à Londres et à Casablanca.

Le record du plus long voyage peut être attribuée à 4 barriques qui ont été envoyées à Dakar après avoir transité par la gare de Bordeaux Saint Jean. facture du 23 février 1912.

Pour les Pyrénées Orientales, Paul Gély-Fort livrait la Cerdagne avec des acheteurs réguliers à La Cabanasse, Osséja et en plus petite quantité à Latour de Carol, Formiguères, Fontpédrouse, Porté.

La liste des particuliers a aussi son intérêt dans la mesure où il notait les professions. On y trouve un garde républicain à Paris,un capitaine des douanes à Saint Bertrand de Comminges, un inspecteur de l'exploitation des chemins de fer des Flandres et d'Hazebrouch-Merville (Nord), un instituteur dans l'Eure,un industriel dans les Côtes du Nord, un rentier, un meunier, un notaire, un pâtissier, un cultivateur mais aussi l'aumônier de l'hôpital des Augustins de Guingamp, par ailleurs recteur 8 de Pédernec, et son homologue le recteur de Rospez. De là à dire que le vin de Caramany servait de vin de messe... 

La 1ère guerre mondiale et ses conséquences: 

paul-gely-fortEn 1914, Paul Gély-Fort a 43 ans. Il est mobilisé en août au 56 ème régiment d'artillerie de campagne à Montpellier et est remplacé à la tête de la municipalité par un maire par intérim. Son départ a bien sûr des conséquences sur le suivi de ses propriétés et porte un sérieux coup à son commerce comme l'indique la note suivante: « Monsieur A m'a remis le 25 octobre (1914) la somme de quatorze cents francs pour expédition d'un réservoir; vin acheté à la cave de Monsieur Dabat Repicou à 10 francs l'hectolitre. Par suite de mon départ, l'expédition de ce wagon devient impossible. Caramany, le 30 octobre 1914. »  Toutefois son carnet de facture mentionne pour les années 1915, 16, 17 et 18 quelques transactions vers les clients de Cerdagne.

Au milieu des factures, figure une note que j'avoue avoir lu avec un peu d'émotion et qui est révélatrice de sa personnalité.

« Caramany, le 15 août 1914,

Dans le cas de mon départ pour la Défense Nationale, je consigne ici le nom des personnes à qui je dois et que ma famille devrait rembourser, dans le cas où je ne reviendrais pas.

Suivent quatre noms et le montant des dettes.

C'est tout ce que je dois. Dans le cas où j'aurais omis quelque chose, je prie ma femme et mes enfants de le payer. »

A la page suivante, il confie de même à son épouse la liste de tous ses débiteurs « afin de pouvoir, le cas échéant se faire payer ».

En 1918, Paul Gély-Fort aura la chance d'être rendu à sa famille et retrouvera sa mairie, ses terres et son commerce.

 

Notes:

  1.  Les fouilles effectuées sur la ferme romaine du Pla de l'Aïgo (voir notre article dans la rubrique histoire) mentionne l'existence d'une salle de pressoir qui aurait pu servir à l'élaboration d'huile ou de vin.
  2. 89 ans après, la cave coopérative des Vignerons de Caramany existe toujours alors que de nombreuse caves du département y compris dans des villages plus importants que le nôtre ont fermé leurs portes.
  3.  Elu en 1896, Paul Gély-Fort a aussi assuré les fonctions de maire de 1912 à 1941.
  4. La liste peut paraître fastidieuse mais, un peu à l'image du recensement de 1306 ordonné par le roi Philippe le Bel, elle a le mérite de nous donner le nom des familles des propriétaires-récoltants du début du siècle.
  5. Les Pistoulets sont cités dans le texte sur les surnoms d'autrefois dans la rubrique Histoire.
  6.  On retrouve également la présence d'une telle profession dans les livres de compte de l'un des épiciers de l'époque Antoine Molins (article en préparation.)
  7.  Lire l'article de Sébastien Sales, président actuel des vignerons de Caramany sur la vente de nos vins dans le monde, rubrique découvrir.
  8. Par recteur en Bretagne, il faut entendre curé; en occitan nous disons bien rector (prononcer rictou).

Sources:

  • - archives familiales

Photos:  1 et 4 archives personnelles, 2 et 3 exposition "Mémoires d'un village", auteur A Vignaud-juillet 2003