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Un musicien en exil

retirada 1936 – 1939: L'Espagne vit des années terribles; la République est attaquée par les troupes rebelles du général Franco et perd peu à peu du terrain.

Après la chute de Barcelone, des milliers de républicains fuient leur pays et arrivent dans les Pyrénées Orientales où rien n'a été prévu pour les accueillir. C'est le tragique épisode de la Retirada.

Dans la liste des exilés de la ville de Banyoles, figure Josep Junca i Juscafresa que les chemins de l'exil vont mener jusqu'à Caramany où il résidera deux ans.

Si sa biographie est connue, ce qui m'a permis de le retrouver, c'est parce qu'il a été un contrebassiste renommé et un compositeur de sardanes. 

 

 Biographie de Josep Junca i Juscafresa: 

Josep Junca i Juscafresa est né le 17 juin 1888 au Pla de l'estany, commune de Banyoles. Descendant d'une grande famille de musiciens, il joue dès l'âge de 13 ans dans la cobla-orchestre els Juncans.

En 1920, il s'installe à Barcelone et deux ans plus tard, il entre comme contrebassiste à la cobla BarCobla Barcelonacelona qui vient de se créer. Cette cobla1 gagnera le concours organisé par la Generalitat de Catalunya en 1932, ce qui lui conférera le titre de Cobla oficial de la Generalitat de Catalunya. Petite anecdote, en 1923, la cobla Barcelona avait offert un concert au célèbre Albert Einstein en visite dans la capitale catalane et à Madrid.

A cause de l'avancée des troupes franquistes, Josep Junca i Juscafresa quitte donc sa terre natale et se réfugie à Caramany. Après deux ans d'exil, il revient à Barcelone et quelques années plus tard en 1945, il reconstitue avec le grand joueur de tenora2 Josep Coll la cobla Barcelona qui avait été dissoute en 1939 pour avoir collaboré avec le Commissariat de Propagande de la Généralité.

Il y officiera jusqu'en 1958 puis ira habiter à Madrid où il s'éteindra en 1972.

En tant que contrebassiste, il avait été mis à l'honneur en 1948 lorsque le compositeur Joaquim Serra i Coromines lui avait dédié  En Cacaliu  qui deviendra la sardane pour contrebassiste la plus interprétée par les coblas à cette époque.

Il est aussi connu dans le monde artistique catalan pour avoir écrit plusieurs sardanes dont la plus jouée est Neus ( les neiges) écrite en 1931. Elle a d'ailleurs figuré plusieurs fois au programme du festival de la sardane de Céret comme ce 23 août 1980 où elle a été interprétée par la Cobla principal de Barcelona. Dolç pensament (1923), La nostra cuca (1949) , La meva manyaga (1951) Mercè sont aussi des oeuvres que l'on doit à Josep Junca i Juscafresa. 

La musique rapproche les hommes:

A Caramany, il habitait avec un de ses compatriotes à « la maison de Vendrell », comme disent les Carmagnols 3 qui se souviennent de l'ancien boulanger, lui aussi originaire de la Catalogne; cette maison porte actuellement le n° 5, rue du chemin d'Ille.

Tombé dans un village de musiciens 4, notre réfugié ne pouvait que rencontrer les musiciens locaux. En 1925, ils avaient créé  The Caramany jazz , orchestre et cobla qui comptait dans ses rangs François Laforgue, Clément Caillens, Emilien Laforgue, Amédée Laforgue, Adonis Hubert et Gustave Foussat. D'autres s'étaient joints à eux, François Bertrand , Clément Estève, Jean Canet. D'ailleurs certains organismes qui recensent les coblas font état en 1937 et 1938 de la cobla Laforgue-Caillens ou Caillens-Laforgue selon les sources.

Cobla de CaramanySur la photo ci-contre, on voit une partie de la cobla qui pose avec un musicien catalan, le deuxième à partir de la gauche. Il a été identifié par Francine Ortéga, la fille d'Amédée Laforgue, comme étant Josep de Banyoles. Et même s'il y a un léger doute sur son identité, ce document émouvant est la preuve qu'un musicien réfugié (si ce n'est lui, c'est donc son... compatriote) a donné un coup de main à la cobla carmagnole qui ignorait peut-être, le jour où ce cliché a été pris, qu'elle allait, elle aussi, être dans l'obligation d'interrompre ses activités. En effet, si l'année 1939 marque le fin de la guerre civile espagnole, elle est aussi l'année du déclenchement de la deuxième guerre mondiale et Caramany comme la plupart des communes françaises, n'a hélas pas été épargnée: morts au combat, jeunes enrôlés de force dans les chantiers de jeunesse puis déportés pour le service de travail obligatoire, prisonniers de guerre. Ce fut le cas d'Amédée Laforgue et de Clément Caillens capturés par l'armée allemande dès le début des hostilités.

Certes, cette évocation rappelle des jours très sombres de l'histoire espagnole comme de l'histoire française. Les guerres ne peuvent engendrer que de la souffrance pour les peuples, mais au milieu de cette souffrance, il est réconfortant de constater, que par dessus les frontières, les régimes et les appartenances politiques, que l'on soit de " Barcelone la grande" ou de " Caramany la petite", la musique est universelle.

Alors que j'écrivais cette conclusion, certainement grâce au phénomène bien connu de l'association d'idées, j'ai subitement pensé à Pau Casals, lui aussi catalan de racines et de coeur, lui aussi musicien, il est même considéré comme le plus grand violoncelliste du XXème siècle , lui aussi poussé hors de son pays par le fascisme et réfugié à Prades. Je n'ai pu m'empêcher d'ouvrir une de ses biographies. Elle commençait par une citation qui aurait pu servir de titre à cet article: « La musique, ce merveilleux langage universel doit être une source de communication entre les hommes » et, hasard des mots, elle mentionnait qu'il était né dans la ville de El Vendrell (patronyme du boulanger carmagnol), province de Tarragone où il repose désormais.

Et comme il vaut mieux lire et relire les paroles des grands humanistes plutôt que les discours guerriers ou de haine qui n'ont hélas pas disparu avec le changement de siècle, je laisse à Pau Casals le soin de conclure:

« La musique chasse la haine chez ceux qui sont sans amour. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos, elle console ceux qui pleurent. »

 

Notes:

  1. Une cobla est un ensemble instrumental catalan composé de 11 musiciens pour 12 instruments: un flaviol et tambourin, deux tibles, deux tenores, deux trompettes, un trombone, deux fiscorns, une contrebasse à cordes.
  2.  La tenora est un des instruments traditionnels de la cobla. Il appartient à la famille des hautbois, certaines sources le qualifient de hautbois ténor. Il est très allongé et se termine par un pavillon en métal.
  3. Témoignages recueillis auprès de Francine Ortéga et Francis Caillens
  4.  N'hésitez pas à relire le texte d'Emilien Laforgue publié sous le titre Un village de musiciens, rubrique anecdotes.

 Sources:

Photo:

1: tirée de L'accent catalan, le magazine du Conseil Général des PO, février 2009

2: wikipédia

3: archives personnelles, de gauche à droite, Amédée Laforgue, Josep de Banyoles, Clément Caillens, Emilien Laforgue, François Bertrand.