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Les Molins, une famille aisée
- Détails
- Publié le: 15/05/2013
- Auteur: Bernard Caillens
Le livre de comptes d'Antoine Molins a certes la rigueur et la froideur de toute pièce de comptabilité. Pourtant quelques mentions de-ci de-là révèlent des détails sur la façon de vivre de cette famille au début du XXème siècle.
Antoine Molins est né en 1866. De son épouse Anna Sire, qui n'est jamais mentionnée dans le registre, il a eu six enfants, Aubin, Antoine, Gabriel, Antoinette, Maximin et Anna. Ils vivent dans la plus grande maison de la commune, bâtie au XVII ème siècle juste au pied de l'enceinte du village médiéval et face à la ruelle qui descend du château. Cet édifice qui est délimité par la rue du Chemin d'Ille et la rue du Rébelli appartenait auparavant à la famille Chauvet.
L'ouvrage ne devait donc pas manquer pour ce couple, avec le magasin à gérer, les propriétés à exploiter, la grande maison à tenir et les enfants à élever.
Jusqu'en 1906, le registre est rédigé par le chef de famille. A partir de 1906 et de plus en plus, une autre écriture apparaît, plus appliquée plus féminine. Peut-être madame Molins peut-elle seconder son mari au magasin maintenant que les enfants les plus grands sont scolarisés?
Les tâches ménagères:
Pour faire face à l'ensemble des tâches familiales, la famille Molins rétribue plusieurs personnes pour ses travaux de ménage, de lessive et de repassage. De 1900 à 1902, apparaît une fois par semaine la mention savonnade, parfois reçu laver pour la somme modique de 0,50 F . S'agit-il du magasin, des sols de la maison?
Une journée de ménage était rémunérée un franc, celle de lessive un franc cinquante. Le prix du repassage d'une chemise par exemple est estimé en 1901 à 0,15 F, celui d'un faux col ou d'une coiffe à 0,05 F.
Les travaux de repassage en particulier sont révélateurs du niveau d'aisance de la famille Molins. Madame portait la coiffe, monsieur des faux cols qui étaient confiés aux bons soins de madame Hubert Baptiste par lot de quatre, environ tous les trois mois et un peu plus souvent en période de fête.
On faisait aussi régulièrement laver et repasser des rideaux, ce qui ne devait pas être le cas dans toutes les maisons. On faisait broder le linge de maison par des mains expertes: madame Roger brode quatre cravates de flanelle en novembre 1906, madame Euphrosine Dabat brode en mai 1904 un service de table. Sont également mises à contribution madame Alberic en 1907, madame Montferrand en 1910, madame Delonca épouse Benjamin Delonca qui réalise entre janvier et avril 1912 pas moins de seize journées de couture. Des habits pour les enfants étaient aussi confectionnés régulièrement. Une ligne dans le registre montre d'ailleurs l'importance que les époux Molins accordaient à l'éducation et à la réussite de leurs enfants. Le 21 août 1907, ils font réaliser par le menuisier Jean Sire, pour la somme de 4,50 F, presque deux journées de travail, un cadre pour le certificat d'études. Il doit s'agir de celui d'Aubin qui avait 14 ans cette année-là.
La qualité de vie:
La position sociale se traduit aussi par le niveau de vie. La famille Molins se fait régulièrement approvisionner en bois, essentiel pour le chauffage en hiver mais aussi pour la cuisine toute l'année. C'est souvent Martin Caillens, le chevrier, qui se charge de cette tâche. En 1900 chaque fagot lui rapporte 75 centimes.
Les Molins font aussi confectionner des fagots de sarments1, pratiques pour allumer le feu chaque matin. En novembre 1904, ils se font livrer 55 kg de charbon par Clémenceau Gély. Car la maison dispose de plusieurs pièces à feu: le grand salon avec ses immenses fenêtres ouvrant au sud mais aussi les chambres du rez de chaussée sont équipés d'une cheminée.
Côté alimentation, les besoins sont largement couverts. Antoine Molins fait travailler régulièrement ses jardins potagers par des personnes de confiance. (Le 24 juin 1900, par exemple, Paul Roger reçoit 60 centimes pour avoir planté les poireaux.) Il exploite un ou plusieurs champs d'oliviers, produit son propre vin. Chaque matin il confie ses chèvres au chevrier Martin Caillens. Enfin n'oublions pas que grâce à son commerce, il peut se faire livrer toutes les denrées qu'il souhaite et ce, au prix de gros. Pourtant, le registre montre qu'il fait aussi appel à de bons fournisseurs lorsqu'il souhaite améliorer son ordinaire et qu'il sait certainement saisir les occasions d'une bonne récolte de fruits ou de légumes effectuée par ses concitoyens. Quelques exemples: en janvier 1900, Julien Marquet fournit 51 kg de pommes de terre pour 4,10 F et en février 19 kg de figues pour 3,80 F. Thérésine Calvet apporte ¼ de kilo d'amandes en septembre 1906 pour 0,75 F. Au mois d'août 1908, Joseph Saly boubé fournit à plusieurs reprises des tomates. Il avait livré un canard en 1902. D'autre part, la fourniture d'un lapin ou d'un poulet est assez courante.
Les joie et les peines:
La famille a aussi les moyens de participer comme il se doit aux fêtes du village. A cette époque, on fêtait Saint Étienne, patron de l'église, les 3 et 4 août et le 26 décembre2. Quelques rapides vérifications permettent de constater que les approvisionnements d'Antoine Molins tiennent compte de ces dates. Le 31 juillet 1900, Lucien Barrière apporte deux poulets et deux lapins. Joseph Saly boubé fournit 5 lapins le 3 août 1903, 4 lapins en août 1905 (A Molins a bien mentionné pour la fête), un autre lapin pour un baptême 3 et un lapin et une poule pour Noël. En 1909, pour le passage à l'année nouvelle, le boucher Olivier Lacourt a un avoir pour une chèvre, certainement pour la découpe puisque Antoine Molins avait un petit cheptel. Il a précisé sur cette ligne la peau pour lui.
Pour les mêmes raisons, on peut aussi remarquer que les couverts étaient confiés à l'étameur, Auguste Gély en 1899, puis Clémenceau Gély en juillet ou en décembre, ou constater la commande d'une robe pour la petite Antoinette pour le Noël 1908.
L'aisance ne met pas à l'abri des peines; les époux Molins ont dû affronter la perte de leur fils Antoine, décédé à 19 mois le 23 août 1897. En décembre 1900, un nouveau deuil survient, celui d'Aubine Fourcade, épouse Molins, la maman du chef de famille. Non seulement ce dernier a fait appel au fossoyeur, Etienne Fortuny, et au menuisier, Jean Sire, comme tout un chacun, mais il a aussi rémunéré Jean Pierre Sabrazès pour la cérémonie, (Reçu cloches et chant enterrement) et embauché un cuisinier Pierre Gély-Fort (Avoir travail cuisiner 5,00) certainement pour assurer le repas de famille comme cela se faisait autrefois.
Tous ces éléments montrent bien que le niveau de vie des Molins est bien au dessus de la moyenne. Les signes extérieurs comme les cartes de visite ou le soin apporté au domicile et au magasin, (seuil de marbre à l'entrée, devanture sur la placette avec un devant de porte pourvu d'un éclairage extérieur et aux initiales A.M), le fait qu'Antoine Molins soit conseiller municipal, ajoutés au niveau de confort, à la qualité de l'alimentation ou de l'habillement, sont la preuve que la famille Molins occupe économiquement et socialement un rang important dans le village.
Notes:
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Joseph Saly boubé en livre 70 fagots en décembre 1910 pour 7,00 F. Seul le travail de confection devait être payé, A. Molins pouvant se procurer des sarments avec ses propres vignes.
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Source Didot-Bottin. La société de secours mutuel avait été créée en 1896, mais j'ignore si la fête du 4 septembre, dite aussi de Saint Roch alors que la Saint Roch est le 16 août, avait été instituée dans les années 1900.
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C'est Anna qui est née en 1905.
sources:
- livre de comptes d'Antoine Molins mis gracieusement à notre disposition par madame Michèle Barbet à qui nous adressons tous nos remerciements.
- registres d'état civil. Archives municipales
Photos:
1: La partie de cartes de Maximin, le plus jeune en chemise blanche: elle se déroule sur la placette, devant le café Foussat, face au magasin de la famille Molins. On reconnaît de gauche à droite Achille Foussat, Joseph Foussat et Joseph Asther. (Extrait de l'exposition Mémoires d'un village)
2: Antoinette au milieu de ses amies, vers 1920. Archives familiales
3: Carte de visite d'Antoine Molins, aimablement offerte par madame Michèle Barbet.
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