Nous vous recommandons quelques sites voisins.

Visitez-les !

Nouveauté sur le site :

Galerie de photos

Un dimanche à Gerland

 

Lyon: stade de Gerland, le 12 février 1950. En ce dimanche d'hiver où le froid pique un peu, les deux équipes s'élancent sur le terrain sous les applaudissements nourris des spectateurs.

Le stade Gerland, quatrième plus grand stade français; n'a pas encore bénéficié des travaux d'agrandissement qui lui ont permis à la fin des années 60 de dépasser les 50 000 places de spectateurs mais il n'en est pas moins impressionnant. Sur le tableau d'affichage, on peut lire, côté locaux ASPTT et côté visiteurs COC, qu'il faut traduire par Caramany Olympique Club.

Vous avez bien lu, l'équipe de rugby de Caramany vient de s'élancer sur la pelouse, le capitaine Francis Caillens en tête, pour disputer, au stade de Gerland, le quart de finale du championnat de France 3 ème série.

 Une équipe de village 

L'équipe du COC en 1950Inutile de dire que ce match à Lyon est l'événement phare dans la vie du club et qu'il est encore dans les mémoires des joueurs qui y ont participé. Car Caramany est l'exemple même de ce qui a été appelé le rugby des villages. Entre les deux guerres, ce sport inventé par nos voisins britanniques a fait ses émules d'autant plus que les distractions ne sont pas nombreuses en milieu rural. La population carmagnole qui est, dans les années 30, de l'ordre de 500 habitants fournit donc un contingent de jeunes garçons qui tout naturellement s'affrontent balle en main. C'est à cette époque là qu'une équipe est née et à tour de rôle, les jeunes, entraînés par leurs aînés, en font partie; on pourrait presque dire de père en fils. C'est ainsi que le 11 novembre 1945, le COC, qui devait honorer une rencontre avec l'équipe de saint Paul de Fenouillet et qui avait vu ses effectifs fondre à cause de la sortie traditionnelle à la foire des camelots dont certains éléments n'avaient pas voulu se priver, a rappelé des anciens et accéléré l'arrivée des tout jeunes. Ont donc été alignés sur le terrain Clément Caillens, titulaire avant la guerre et depuis peu de retour de captivité, et Francis Caillens qui allait sur ses seize ans. Un père et son fils dans la même équipe, cela doit être très rare dans les annales du rugby.

Qui dit équipe dit stade. A Caramany il fallait plutôt parler du terrain de la Bade. La colline qui domine le village à l'est, disposait en effet d'une surface relativement plane et assez grande pour avoir la taille d'un terrain de rugby. Elle présentait toutefois quelques petits inconvénients. Comme il était impensable de faire monter l'eau pour avoir un semblant de pelouse, le sol était naturel, terre battue avec en prime quelque rocailles affleurantes; les lignes de touche étaient assez proches des bords du plateau et lorsque le ballon allait un peu loin, il fallait un peu de patience pour le retrouver au milieu des buissons et le remonter sur le terrain. Il y avait aussi une légère courbure, si bien disait-on, en galéjant un peu comme à Marseille, que les deux arrières ne se voyaient pas. Le seul aménagement existant était le tracé des lignes à la chaux ; inutile bien sûr de chercher des vestiaires, encore moins de sanitaires avec douches. On se mettait en maillot en plein vent, entre les buissons et les spectateurs se répartissaient tout autour du terrain là où ils pouvaient. Les maillots étaient confiés aux mains expertes des mamans ou des épouses qui en assuraient le lavage et le raccommodage, car ils devaient tenir plusieurs saisons.

Peut-être pour effrayer ses adversaires, mais parlait-on déjà des all blacks, peut-être aussi pour rendre moins visible les traces de sang dues aux écorchures sur la rocaille, et de mémoire de joueur elles étaient nombreuses, l'équipe de Caramany avait choisi des maillots noirs.

Dans de telles conditions, vous pensez bien que les équipes en déplacement faisaient plus que redouter le terrain de la Bade et que sa seule réputation était un avantage certain pour les Carmagnols. 

L'épopée de LyonL'équipe rentre sur le terrain

 Au cours de la saison 1949-1950, l'équipe tourne à plein régime, ce qui lui vaut d'accéder à ce fameux quart de finale du championnat de France mais aussi, le 19 mars en finale du championnat du Roussillon.

Faisons sa connaissance: En première ligne, les piliers étaient Denis Delonca et Joseph Aubert, alors que le poste de talonneur était tenu par Denis Izard de Bélesta. Des jeunes de villages voisins plus petits que Caramany pour avoir une équipe, venaient en effet, régulièrement, renforcer le COC.

Les deuxièmes lignes étaient particulièrement redoutés, car, paraît-il, ils bracejaient 1 beaucoup; il s'agissait de Pierrot Creus et René Vidal.

La mêlée était poussée en troisième ligne par Roger Horte, Lambert Caillens et Ernest Foussat de Rasiguères.

La charnière avait comme demi de mêlée Gérard Delonca et demi d'ouverture Roland Lacourt. Les postes de centres étaient tenus par Guy Caillens et René Aniort de Rasiguères, ceux des ailes par Hervé Bergès et Yvon Dabat. Enfin Francis Caillens figurait au poste d'arrière.

Entourant l'équipe, avec le titre ronflant de dirigeants, on peut citer Germain Gély, Augustin Delonca, Augustin Calvet, Urbain Dabat. Sur les photos du match de Lyon, sont aussi présents Honoré Calvet et Edouard Fillols.

Le COC n'avait pas l'habitude d'organiser des déplacements de cette importance. Il devait réserver un autocar, bien le remplir pour en amortir le coût et trouver un hôtel pour une nuit. Comme il ne disposait que de très petits moyens financiers, il va sans dire que les 45 participants 2, joueurs y compris, ont payé de leurs deniers, le transport, le gîte et le couvert. Il fut décidé de partir le vendredi à 10 heures du soir pour laisser à l'équipe une journée d'acclimatation avant le match. Après un trajet de nuit, voilà donc nos Carmagnols qui arrivent à 7 heures du matin à Lyon et qui se rendent tout naturellement à la poste centrale où leurs futurs adversaires sont étonnés de les voir arriver si tôt. Que voulez vous, avec le bon sens paysan, on est plutôt en avance qu'en retard! Un petit déjeuner copieux suit les présentations et par petits groupes, les joueurs du COC partent à la découverte de la ville et plus particulièrement de la colline de Fourvière. J'ignore si la veillée d'armes a été calme et studieuse, peut-être oui, si l'on n'a pas trop touché aux nombreuses bouteilles de vin blanc et au tonneau de 30 litres qui avaient été emmenés dans les bagages.

Et le jour du 12 février se lève sur le stade de Gerland, mis gracieusement à disposition de l'ASPPT car l'Olympique lyonnais qui en était le club résident depuis cette année-là n'avait pas de match à cette date. A quelques minutes du coup d'envoi, c'est l'angoisse dans les rangs. Joseph Aubert qui a profité de ce voyage pour passer quelques heures en famille, n'est toujours pas revenu. Alors que se pose le terrible dilemme de son remplacement, il arrive et pourra donc tenir sa place.un match disputé

L'équipe s'élance devant un public d'une soixantaine de spectateurs, et oui! la trentaine qui a accompagné le COC et presque autant de Lyonnais, collègues et épouses des joueurs. Évidemment, cela ne remplissait pas la célèbre tribune Jean Bouin mais leur présence faisait chaud au coeur des Carmagnols, si loin de chez eux.

Le match commence et l'ASPTT s'impose logiquement 10 à 3 malgré une bonne résistance des Carmagnols et l'espoir suscité par le coup de pied de pénalité réussi en première mi-temps; le COC n'ira donc pas en demi-finale. La déception n'est pas très grande, compte tenu de la fierté d'être arrivé à ce niveau de compétition mais aussi ...de la fête qui a suivi et des relations qui se sont établies avec les postiers de Lyon, dans le meilleur esprit sportif.

Après une réception au siège de l'ASPTT (c'est là que sont sorties les bouteilles qui restaient), le capitaine lyonnais a proposé de poursuivre la soirée au restaurant, sous réserve que chacun régle son écot, aucun des clubs n' ayant prévu cette dépense. L'ambiance a été très cordiale puisque le repas s'est poursuivi en chansons dans les rues de Lyon. Nos champions ont même été, à deux reprises, contrôlés par les fameuses hirondelles, à vélo, en pèlerine et bâton blanc qui s'inquiétaient du tapage; mais devant les explications des responsables locaux mettant en avant le caractère exceptionnel de la rencontre et l'assurance que tout se passerait bien, les forces de l'ordre compréhensives ont laissé la fête se poursuivre. Ce n'est pas tous les jours, messieurs, que Caramany monte jouer à Lyon, tout de même!

C'est à 5 heures du matin que joueurs et accompagnateurs remontaient dans le car pour rejoindre Caramany où ils arrivaient en début de soirée. Juste le temps de souffler un peu avant de reprendre le lendemain, le chemin de la vigne et préparer la façon, dont on allait raconter l'exploit aux parents et aux copains restés au village.

Pendant plusieurs années, les photographies de la rencontre ont été exposées dans le hall de la mairie. En 1966, elles ont rejoint le Foyer rural pour être décrochées à l'occasion d'un rafraichissement des murs puis, le temps faisant son oeuvre, disparaître dans un placard. 

De XV à XIII 

L'équipe du COC en 1955La saison 1949- 1950 marquera l'apogée du COC; dans les années 50, le déclin de la population se fait déjà sentir et le maintien d'une équipe à 15 devient difficile. Le COC décide donc de passer au Jeu à XIII, faisant ainsi l'économie de deux joueurs. C'est l'occasion de changer de maillot. Les maillots noirs ont fait plus que leur temps. L'équipe de Latour de France qui vient de jeter l'éponge permet aux dirigeants de faire l'acquisition d'une nouvelle tenue. Ce sera désormais des maillots blancs à chevrons, une tenue à la mode à XIII.

Avec l'entrée de nouveaux jeunes, le COC brillera encore sur les terrains quelques années. En 1955, sur le stade de la distillerie de Millas, il s'incline contre Ille XIII en finale du championnat du Roussillon. L'un de ses joueurs, Gilbert Caillens accédera à la nationale en jouant plusieurs années comme centre au sein du XIII catalan.

C'est l'exode rural et donc le manque d'effectif qui sonnera le glas du COC. Ainsi va l'histoire mais les années rugby auront vraiment marqué celle des Carmagnols et la plus belle page restera pour toujours celle écrite sur la pelouse du stade de Gerland, le 12 février 1950. 

Un dernier hommage à la belle époque du COC 

C'est en évoquant cette époque, devant les photographies témoins de la rencontre, qu'en 1980 l'idée est venue aux Carmagnols de faire reprendre du service au terrain de la Bade. Pourquoi ne pas faire un match les jeunes contre les vieux? Aussitôt dit, aussitôt fait. Ce match a eu lieu le 13 juillet avec deux mi-temps de 20 minutes pour tenir compte de la chaleur et de l'absence totale de préparation des joueurs. Quelques vieux maillots et quelques vieilles chaussettes sont même ressortis pour l'occasion. Une fois encore, le terrain mythique de la Bade a vibré sous les clameurs des spectateurs et a fait respecter la tradition des écorchures. L'équipe des vieux a eu le privilège de compter dans ses rangs un des joueurs de la saison 1950. A 51 ans René Vidal, le deuxième ligne qui impressionnait ses adversaires, a tenu sa place. Francis Caillens, 51 ans également, a participé à la rencontre en tant qu'arbitre. Après une bonne douche (à la maison) la réception d'après match au foyer rural a été moins émouvante qu'à Lyon mais elle n'en a pas été moins conviviale. Elle a fermé définitivement la page du rugby à Caramany.

Remarque: L'appellation COC existe encore aujourd'hui, le rugby ayant fait la passe à la pétanque. 

Notes:

  1. de l'occitan bracejar: gesticuler (dictionnaire panoccitan)
  2. A noter qu'aucune dame ou demoiselle n'avait été souhaitée pour cette équipée; c'était une virée entre hommes.

 Source:

  • Récit du voyage à Lyon recueilli auprès de Francis Caillens.

Photos: archives familiales

Le COC en 1950: de gauche à droite, debout: Lambert Caillens, Roger Horte, Pierrot Creus, René Vidal, Joseph Aubert, Denis Delonca,Denis Izard (Bélesta)

accroupis: Louis Gély (Montalba), Gérard Delonca, Roland Lacourt, Francis Caillens, Guy Caillens,Hervé Bergès, Jojo Sire (Montalba)

Le COC en 1955: debout, Ange Laforgue, Jean Foussat, Gérald Hubert, Antoine Salles, René Delonca, René Muixi, René Vidal, Edgard Ubert, Serge Dabat, Roger Horte.

devant: Jacky Bénézet, Hervé Bergès, Roland Lacourt, Jacky Vignaud, Francis Caillens, Gilbert Caillens, Aimé Brutus.