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Un potier carmagnol, génial inventeur
- Détails
- Publié le: 17/01/2013
- Auteur: Bernard Caillens
Avec plus de 500 habitants dans la deuxième partie du XIX ème siècle, Caramany était un gros bourg dont l'économie était bien sûr tournée vers l'agriculture mais qui disposait aussi de ce qu'on appellerait maintenant des services, commerçants et artisans, nécessaires pour répondre aux besoins d'une population qui vivait pratiquement en autarcie.
Parmi ces artisans se trouvait un potier, Joseph Calvet, qui reçut un brevet d'inventeur institué par décret de Sa majesté Napoléon III.
Le Bulletin des lois de l'empire français dans son numéro 1178 publie le décret impérial du 7 octobre 1863 qui proclame 1483 Brevets d'invention et Certificats d'addition:
« NAPOLEON par la grâce de Dieu et de la volonté nationale, EMPEREUR DES FRANCAIS, à tous présents et à venir SALUT,
Sur le rapport de notre ministre secrétaire d'état au département de l'agriculture, du commerce et des travaux publics
Vu l'article 14 de la loi du 5 juillet 1844
Avons décrété et décrétons ce qui suit:
Article 1er sont proclamés:...
320°- le brevet d'invention de quinze ans, dont la demande a été déposée, le 31 mai 1862, au secrétariat de la préfecture du département des Pyrénées Orientales par le sieur Calvet (Joseph), potier, à Caramany pour une bobèche dite bobèche brûle -tout. »
Inventeur , oui mais de quoi?
Comme vous pouvez l'imaginer, le décret ne présente pas de photographies des inventions et on ne peut que se retourner vers les dictionnaires pour essayer d'éclairer (le mot est adéquat) ce qu'a pu être cette invention.
Pour le Littré, une bobèche est une petite pièce mobile et écrasée qu'on adapte au chandelier.
Le Larousse 1905 est un peu plus explicite: disque de verre ou de métal à rebords percé au milieu que l'on adapte à un bougeoir pour empêcher la cire de couler plus bas.
Partie supérieure et mobile du chandelier qui a la forme de ce disque.
Le dictionnaire vivant de la langue française indique la même chose: petite pièce à rebord percée en son milieu d'un trou cylindrique, qu'on adapte aux chandeliers , aux lustres, aux girandoles. Il se dit également de la partie supérieure d'un chandelier lorsqu'elle a un rebord comme celui des bobèches mobiles. (voir photo 1)
Une bobèche est donc un disque que l'on peut rajouter aux chandeliers pour éviter que la cire ne descende plus bas. Les chandeliers de notre église par exemple, sont des chandeliers à bobèche puisqu'ils sont munis d'un disque fixe.
La situation se complique un peu lorsqu'on recherche brûle -tout.
Pour le Littré c'est une sorte de bougeoir court, garni d'un rond qui fait bobèche et surmonté d'une pointe sur laquelle on fiche le bout de bougie à brûler. Le Larousse 1905 ne dit pas autre chose: bobèche avec pointe pour brûler les bouts de bougie.
Un brûle-tout est donc un instrument qui permettait d'utiliser les bougies jusqu'à la dernière goutte de cire. S'éclairer était source de dépense et le gaspillage n'était pas permis. Comme le montre la photo 2 et l'indiquent les définitions des deux dictionnaires, un brûle-tout fait aussi bobèche.
Qu'a donc pu inventer Joseph Calvet? Un nouveau style de brûle-tout dont il aurait perfectionné la bobèche, le tout peut-être en terre cuite puisqu'il était potier? Il fallait quand même qu'il présente quelque chose de nouveau pour obtenir un Brevet de l'empereur. Je remets donc une fois de plus la recherche dans les mains de nos lecteurs.
Un Géo-Trouvetout ?
Mais Joseph Calvet ne s'en tient pas là. Le 15 juin 1863, un an à peine après le dépôt de sa première invention, il dépose une autre demande pour un système de tir à but mobile. C'est toujours le Bulletin des lois qui nous l'apprend, le décret impérial datant du 2 novembre 1864. Cette fois-ci, il est associé au sieur Grieu Sébastien à Espira de l'Agly 1. Leur invention nécessite un certificat d'addition puisque le semestre suivant, le décret impérial du 24 mai 1865 qui proclame 2012 brevets d'invention et certificats d'addition contient:
« 1673e le certificat d'addition dont la demande a été déposée le 12 mars 1864, au secrétariat de la préfecture du département des Pyrénées Orientales par les sieurs Calvet Joseph et Grieu Sébastien, le premier à Caramany, le second à Espira du Conflent 1, et se rattachant au brevet d'invention de quinze ans pris le 15 juin 1863 pour un système de tir à but mobile. »
L'expression tir à but mobile emmène les recherches vers des sites militaires d'artillerie pour les canons ou d'infanterie pour les fusils dans lesquels elle est plutôt écrite tir sur but mobile. On comprend bien à quoi cette invention peut servir mais de là à la décrire. Nos deux Géo-Trouvetout ont-ils travaillé pour l'armée ou étaient-ils simplement des chasseurs émérites? Mystère!
Qui était Joseph Calvet?
Tout naturellement, je pensais qu'une recherche rapide dans les registres d'état civil autour des années 1860 me donnerait la réponse d'autant plus que le patronyme de Calvet est présent presque chaque année sur le récapitulatif des dates de naissance, mariage ou décès: ce ne fut pas le cas.
Il y avait bien des Joseph mais plutôt vers la fin du siècle, donc trop jeunes pour avoir déposé des brevets en 1862. Je commençais à penser que le sieur Joseph Calvet avait exercé son métier de potier à Caramany sans y avoir été marié et sans y être décédé, ce qui après tout est possible 2 , quand une ultime vérification sur tous les actes mentionnant un Calvet m'a permis d'authentifier un Joseph adulte dans les années 1860.Un doute subsiste encore: pas une seule fois l'officier d'état civil qui a rédigé les actes le concernant ne mentionne la profession de potier. Le Joseph Calvet dont nous allons faire la connaissance et qui est bien le seul citoyen carmagnol adulte s'appelant ainsi pendant le second empire, est-il vraiment notre potier inventeur ou existait-il un homonyme qui n'aurait été résident qu'un certain temps?
Le 23 octobre 1883, le maire François Vaysse, rédige l'acte de décès de François Calvet, berger. La déclaration de ce décès est faite par Calvet Joseph, dit Jean-Marie, âgé de 43 ans fils du défunt, propriétaire. C'est en me souvenant qu'il n'était pas rare à l'époque que la famille donne un prénom à l'état civil parfois différent du prénom d'usage (sans compter les surnoms 3) que je suis donc parti à la recherche de Jean-Marie Calvet.
Le 14 avril 1863 (année de dépôt du deuxième brevet) avait été célébré le mariage de « Jean-Marie Calvet, né à Maury, le 2 octobre 1840 4, fils légitime de François Calvet, âgé de 55 ans, berger et de Marie-Anne Delonca Jean Peyre, âgée de 52 ans, sans profession, tous les deux vivants, domiciliés au dit Caramany, avec la demoiselle Marie Antoinette Bedos, âgée de 24 ans, née à Caramany le 21 mars 1839. »
Le village a dû être particulièrement animé ce jour-là, car le maire Michel Sabineu a procédé à quatre mariages dans la seule matinée à 8, 9 , 10 et 11 heures.
L'acte ne mentionne que le prénom de Jean-Marie, à tel point que l'on peut se demander lequel de Jean-Marie ou de Joseph est le prénom officiel et lequel est le prénom d'usage. Il s'agit pourtant de la même personne, le fils de François Calvet mais à vingt ans de différence, les deux maires n'utilisent pas le même prénom.
La famille Calvet:
D'autres actes nous confirment l'attrait du prénom Joseph dans la famille Calvet.
Ce mariage fut suivi de l'arrivée de plusieurs enfants:
- François, comme le grand-père, né le 30 janvier 1864
- Marie, née le 2 décembre 1865,
- Joseph, surnommé Jules, né le 21 avril 1870. Le père, Joseph, est qualifié de cultivateur.
- Joseph Auguste, né le 10 mai 1872, décédé en 1874
- et encore Joseph, né le 31 mars 1876
Autres actes intéressants, ceux du mariage et du décès du premier Joseph fils. Il est fait état du « mariage de Joseph Calvet, surnommé Jules (là c'est clair), cultivateur, fils de Calvet Joseph, Jean Marie, ( là, on a donné la même importance aux deux prénoms) cultivateur et de Bédos Antoinette, ménagère. »
Le 5 avril 1947, le registre de l'état civil mentionne le décès de « Joseph Calvet, né à Caramany le 21 avril 1870, fils légitime de Calvet Joseph et de Bédos Antoinette, époux décédés. » Là encore, le maire Eloi Tresseres n'a retenu que le prénom de Joseph pour le père et le fils.
Quant au décès de notre inventeur,c'est avec le seul prénom de Jean-Marie que l'acte a été rédigé le 25 novembre 1916, un acte qui précise bien qu'il était veuf de Bédos Marie Antoinette.
Il ne fait donc aucun doute que Jean-Marie et Joseph sont le même Calvet, époux de Marie Antoinette Bédos mentionnée dans tous les actes. En aucun cas, ses fils n'ont pu déposer de brevets d'invention en 1862 et 1863; il était lui, âgé de 22 et 23 ans à cette époque là, ce qui est possible. Reste le problème de la profession: le fait d'être propriétaire ou cultivateur comme l'indique les actes n'empêche pas d'être potier, peut être un travail secondaire ou d'appoint.
Quoi qu'il en soit, deux choses sont sûres; en 1863 la commune de Caramany a été distinguée par deux brevets d'invention accordés par l'administration impériale et celui qui les a reçus s'appelait Joseph Calvet, mais aussi Jean-Marie Calvet.
Notes:
- On note une erreur manifeste du rédacteur issu certainement de l'administration préfectorale; le 1er bulletin indique Espira de l'Agly et le deuxième Espira du Conflent.
- Les registres antérieurs à l'année 1835 ayant déjà été déposés aux archives départementales, trouver sa date de naissance avant cette date était impossible.
- relire l'article sur "les surnoms d'autrefois" dans la rubrique Histoire
- Ce qui explique que, bien que né en 1840, son acte de naissance ne soit pas inscrit à Caramany.
Sources:
- - Bulletin des lois de l'empire français XI ème série, 1er semestre 1864 contenant les lois et décrets d'intérêt public et général publiés depuis le 1er janvier jusqu'au 30 juin 1864, Tome XXIII, n°1170 à 1221.PARIS – IMPRIMERIE IMPERIALE MDCCC LXIV
- - Bulletin des lois de l'empire français n° 1277
- - Bulletin des lois de l'empire français n° 1372
- - Registres de l'état civil de 1835 à 1950 – archives municipales
Photos:
Les photos 1 et 2 proviennent respectivement du Larousse 1909 et 1905.
Sur la photo 3, on reconnaît Clovis Calvet, fils de Joseph Calvet,surnommé Jules, et petit-fils de Joseph ou Jean-Marie Calvet. Elle a été prise un 4 septembre, jour de la fête de la société la Fraternelle, autour de l'année 1950.
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