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1889: Monseigneur fait halte à Caramany
- Détails
- Publié le: 30/11/2011
- Auteur: Bernard Caillens
Dans la période qui a précédé et suivi le passage au XXème siècle, l'évêque du diocèse effectuait chaque année au printemps, une visite pastorale à la rencontre de ses fidèles. A cette époque, la pratique religieuse était bien plus développée qu'à l'heure actuelle dans nos campagnes et chaque paroisse disposait d'un curé.
Monseigneur l'évêque ne visitait pas toutes les paroisses tous les ans; il priorisait une ou plusieurs zones du département à tour de rôle, quelquefois, il ne passait que dans les gros bourgs où, lors de sa venue, se regroupaient les fidèles des villages alentours. Le calendrier de ses tournées était publié annuellement dans la lettre-circulaire au clergé.
Nous allons donc nous intéresser à celui de la tournée pastorale de l'année 1889 qui fait bonne place au Fenouillèdes. Le mardi 28 mai, Monseigneur qui avait passé la nuit à Latour de France était donc attendu à Rasiguères, dès 8h du matin, avec au programme, confirmation, visite et dîner. Il prenait ensuite la direction de Caramany, où il était attendu à 3h du soir pour la confirmation, la visite, le souper et le coucher.
Le cérémonial d'accueil était réglé de manière très stricte selon les instructions suivantes publiées en 1887 :
« Dans les paroisses que Monseigneur doit visiter, Sa Grandeur en arrivant, se rendra directement au presbytère, d'où elle sera accompagnée processionnellement à l'église, toutes les fois que les circonstances le permettront.
Monseigneur sera reçu à la porte de l'église avec le cérémonial indiqué par le Pontifical romain... MM les Curés voudront bien ne complimenter Sa Grandeur, qu'au maître autel et après le chant des Oraisons prescrites par le Rituel.
Pendant la tournée pastorale, Monseigneur célèbrera toujours la Sainte Messe à 8 heures du matin.
La sainte Messe sera suivie de quelques interrogations sur le catéchisme, de la confirmation et de l'absoute pour les défunts qui se fera dans l'église. La visite de l'église sera faite en particulier et séparément après la cérémonie. Dans une pensée d'ordre et de régularité, Monseigneur tient à ce que les enfants qui doivent être confirmés se présentent et se rangent à la balustrade du Sanctuaire , comme pour la communion.
MM les Curés dont les paroisses sont soumises pour la première fois, à la visite de Monseigneur, recevront deux exemplaires du procès verbal de visite pastorale en forme de questionnaire. Ces questionnaires seront remplis exactement et réservés pour être vérifiés sur place.
Conformément aux désirs que Sa Grandeur en a exprimés pendant la retraite, Monseigneur recommande instamment à MM les Curés de lui offrir une hospitalité très modeste; il tient essentiellement à ce que ses désirs soient suivis... »
Mais qui a été ainsi reçu par Monsieur le curé, par les responsables de la Fabrique1 et certainement par Monsieur le Maire2 et ses concitoyens?
Le titulaire de la chaire épiscopale en 1889 était, comme l'indique ses lettres pastorales, Noël-Mathieu-Victor-Marie Gaussail, par la Miséricorde de Dieu et l'Autorité du Saint Siège apostolique Evêque de Perpignan, Prélat de la Maison de Sa Sainteté, Assistant au Trône Pontifical, Comte Romain.
Faisons sa connaissance: il est né le 24 décembre 1825 à Beaupuy (Tarn et Garonne). Après des études au petit et grand séminaire de Toulouse, il est ordonné prêtre à Alger le 19 mars 1852. Nommé à Philippeville comme archiprêtre, il y reste 20 ans puis devient évêque d'Oran le 10 janvier 1884. Il est nommé sur le siège épiscopal de Perpignan le 10 juin 1886 et intronisé le 21 juillet. Un des grands actes de son épiscopat fut la tenue du synode diocésain du 27 au 29 septembre 1896 qui fixa la discipline ecclésiastique. Il publia le nouveau catéchisme avec un précis de l'Histoire Sainte et de l'Histoire de l'Eglise et fit paraître le catéchisme en catalan. Son dernier acte important fut la restauration du maître autel de la cathédrale dont il supporta les frais. Ses armes(gravure ci-contre)qui, sont gravées d'un côté de l'autel portent: écartelé au 1er et au 4ème de gueules au pélican d'argent, au 2éme et 4éme d'azur à la clef d'argent en pal accostée et surmontée de cigales d'or, à la croix pleine d'or 3 .La devise est Aperiet coelum4.
Il mourut à Perpignan dans son palais le 17 février 1899. Son corps repose dans le caveau creusé dans la chapelle du Saint Sacrement, à la cathédrale Saint Jean.
La venue d'un personnage aussi important est déjà en soi un événement pour une petite paroisse mais le lien entre Monseigneur Gaussail et l'église Saint Etienne de Caramany va bien au delà d'une simple visite.
Si vous observez en entrant dans la nef, le premier vitrail à votre droite dédié à Notre Dame de la Salette, vous remarquerez dans la partie basse du vitrail un médaillon avec des armoiries (image ci-contre) Et oui, ce sont celles de Monseigneur Gaussail. Tournez vous à gauche vers l'autel de la chapelle dédié à Jésus Christ (photo en tête d'article), celle qui est mitoyenne aux fonds baptismaux. Sur la pierre sacrée, est collé un petit bout de papier portant en impression, encore, les armoiries de Monseigneur Gaussail. Bien cachées pendant plus d'un siècle , elles ont été découvertes en 2010 par les responsables de la paroisse qui avaient décidé de rénover les dessus d'autel dont le bois commençait à se désagréger.
Pourquoi une telle présence dans notre église? Les états de l'inventaire, qui justement étaient dressés à l'occasion de la visite pastorale, ou transmis par le desservant, nous apportent la réponse.
L'état établi le 25 avril 1866 signale "une église insuffisante pour la population et sans voute ni plafond". Celui du 29 mai 1879 précise qu' "intérieurement et extérieurement, elle a besoin de grandes réparations. Il y a un projet d'agrandissement. L'architecte diocésain est venu sur les lieux et travaille actuellement au projet"
En 1889, à la réponse « Est-elle assez vaste? » Le rédacteur de l'état répond oui et précise plus loin que la nef compte quatre chapelles contre deux auparavant. S'il était besoin de nous éclairer plus, à la question « Y a t-il un projet d'agrandissement? ». La réponse est: « Il a été mis à exécution. »
En 1889, donc les travaux à l'église sont terminés. Elle a été agrandie, certainement en longueur pour rajouter deux chapelles et en hauteur, ce qui a permis d'installer des vitraux et obligé les maçons à consolider les murs en bâtissant deux arcs qui viennent s'appuyer sur les maisons d'en face.
La présence des armoiries de Monseigneur Gaussail sur un vitrail laisse à penser qu'à titre personnel, comme pour l'autel de la cathédrale, ou au titre de l'évêché, il a apporté une contribution financière à son installation. C'était une pratique qui permettait de remercier les donateurs. Les deux têtes d'enfants qui figurent sur le vitrail de droite en remontant vers le choeur ont été commandés par la famille qui l'a financé et qui avait perdu beaucoup d'enfants en bas-âge.
Cette présence indique aussi que les travaux se sont terminés entre 1886, date d'arrivée de Monseigneur Gaussail à Perpignan et 1889. Il est même raisonnable de penser que la venue de l'évêque en 1889 a permis justement de consacrer les autels des nouvelles chapelles dans une église entièrement neuve. Peut-être les archives de l'évêché pourront elles nous éclairer sur ce point?
Quoi qu'il en soit, Monseigneur Gaussail n'a pas été pour Caramany qu'un simple pasteur venu à la rencontre de ses fidèles. Il a participé à l'histoire de l'église Saint Etienne.
Les visites pastorales se sont poursuivies tout au long du XXème siècle, tant qu'un curé était présent5. Plusieurs paroissiennes se souviennent de la visite de Monseigneur Bernard dans les années 50 (image ci-dessus) . Le dernier évêque reçu dans la paroisse est Monseigneur Fort qui est est venu en 1999 célébrer les 150 ans du clocher6.
Notes:
- L'état de l'inventaire de 1889 ne mentionne pas les membres de la fabrique contrairement à celui de 1866. Cette année là on relève les signatures de Reynaud, Vaysse, Tresserre, Estèbe, Gillard (Pierre), Lacourt aux côtés de celle de Calvet, ou Calset, desservant.
- Nicolas Dabat était le premier magistrat en 1889.
- L'abbé Cazes interprète les armes de la façon suivante: Les 2ème et 3ème quartiers sont constitués par les armes de Philippeville dont il fut longtemps curé; la croix est tirée des armes de Mgr Combes, évêque de Constantine de qui il dépendait; le pélican est celui la même du cardinal Lavigerie, inspirateur de sa promotion à l'épiscopat.
- Coelum ou caelum , le ciel; aperire, ouvrir, en latin. Le dictionnaire de Google traduit aperiet par il va ouvrir. On peut donc tenter une traduction de Aperiet coelum par Il va (nous) ouvrir le ciel. Toute amélioration par des latinistes est la bienvenue. L'abbé Cazes précise que cette devise est sans doute une allusion à la clé dessinée dans les quartiers 2 et 3.
- Le dernier curé résident fut François Forné qui a quitté Caramany en 1965. Il a laissé d'excellents souvenirs dans la mémoire des septuagénaires et octogénaires actuels.
- Voir la revue de presse et la rubrique histoire.
Sources:
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Archives paroissiales déposées au centre d'archives départementales
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"Semaine religieuse du diocèse de Perpignan" années 1886, 1887, 1889, 1899
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" Biographies roussillonnaises de l'abbé Capeille ". Publication sur le site:http://www.mediterranees.net
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"Armorial du Roussillon",volume 2 abbé Albert Cazes, ancien curé de Villefranche de Conflent
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Archives personnelles (dont photo de la visite de Mgr Bernard)
Photos: Bernard Caillens.
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