La ferme romaine du Pla de L'aïgo

Détails

Publié le: 04/01/2012

Auteur: Bernard Caillens

1986: La construction du barrage de Caramany, ce barrage dont on parle depuis la fin des années soixante, est désormais certaine. L'Association archéologique des Pyrénées orientales (A.A.P.O) engage alors une campagne de prospection sur l'ensemble de la zone destinée à être recouverte par les eaux.
L'objectif est de déceler des traces éventuelles de l'histoire fort méconnue de cette partie de la vallée avant qu'elles ne soient détruites par les travaux¹. Or, cette prospection a permis de recueillir de nombreux vestiges s'étalant chronologiquement de l'époque préhistorique à l'époque médiévale et de situer sur une carte les emplacements de gisements potentiels.
L'un d'entre eux fut localisé au Pla de l'aïgo, lieu-dit implanté en rive gauche, donc della l'aïgo, (de l'autre côté de l'eau²), quelques mètres en aval, de l'ancien Pont rose, juste sous l'ancienne route départementale de Caramany à Rasiguères.
Il concernait plusieurs parcelles plantées en vigne sur deux niveaux: une première terrasse touchant au nord la route et un deuxième niveau en dessous, descendant en pente douce vers l'Agly. Rien n'apparaissait en surface, mais quelques céramiques d'époque romaine y furent trouvées, comme d'ailleurs un peu plus haut sur la colline, autour de l'ancienne bergerie, sur le lieu-dit des Couloumines.

1988: En décembre, les autorités donnent le premier coup de pelle pour marquer le lancement des travaux; un coup pour le moins virtuel puisqu'ils ne commenceront réellement qu'en 1991³

1993: Alors que la construction du barrage est bien avancée, des fouilles de sauvetage sont décidées par l'Etat et confiées à l'Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN).

Une occupation sur plusieurs siècles

C'est ainsi que sur les parcelles du Pla de l'aïgo, sont mises au jour, quelques centimètres à peine en dessous du niveau du sol cultivé, les bases d'un édifice datant de la période d'occupation romaine.

Cet édifice a connu trois phases de construction⁴:

1- Un premier bâtiment édifié en matériaux légers, certainement en bois. Il aurait pu être occupé à partir de la moitié du Ier siècle après JC, autrement dit dans les années 50, jusque dans les dernières décennies du Ier siècle, donc très peu de temps.

2- La seconde construction a livré des murs faits de moellons de pierre liés à la terre. Elle comprenait trois pièces en enfilade: une pièce centrale assez petite (16 m² environ), une autre à l'ouest de celle ci un peu plus grande (20 m²); à elles deux, elles forment l'habitat, enfin une grande salle à l'est ,certainement liée à l'activité agricole de l'exploitation, peut-être la bergerie.
Dans les deux premières pièces, différents aménagements (foyers, banquettes sur le bord des murs) montrent bien qu'il s'agit des espaces utilisés pour la vie quotidienne.
Ce bâtiment a été construit à la fin du Ier siècle ou au début du II^ème, entre les années 80 et 120 d'après les archéologues, et a été utilisé certainement jusqu'en 250 environ. Malgré les quelques aménagements signalés ci-dessus , l'habitation est qualifiée de très fruste: murs liés à la terre, toitures certainement faites d'un matériau périssable (roseaux?) puisqu'il y a sur le site, une absence totale de reste de tuiles, la fameuse tégula romaine.

3- Un nouveau bâtiment a été élevé, avec des murs réguliers liés au mortier de chaux, plus en concordance avec les techniques de construction à l'époque romaine. L'un des espaces délimités a été défini comme une salle qui abritait un pressoir, ce qui permet d'imaginer la création d'une exploitation agricole plus performante incluant des plantations d'oliviers ou de vignes.
Cette nouvelle ferme aurait été exploité au plus tôt en 250 jusqu'au milieu au moins du IV^ème siècle, donc vers 350.
Malgré cette modernisation apparente, la ferme du Pla de l'aïgo a été abandonnée avant les autres exploitations proches qui ont perduré un siècle de plus et même pour l'une d'entre elles jusqu'au VII^ème siècle. Car ces premiers "Carmagnols" du Pla de l'Aïgo n'étaient pas seuls, loin s'en faut; les rives de l'Agly étaient très fréquentées au début de notre ère, comme le montrent d'autres vestiges d'époque romaine trouvés au Mas d'Ansignan, au Jounquié plus en amont, aux Coudoumines, juste au dessus, à l'Horto⁵ et à la Plaine en rive droite.

La construction fruste de l'époque laisse à penser qu'elle appartenait à des paysans avec un niveau de vie modeste, bien différent de celui des grands propriétaires fonciers installés dans les plaines de la Narbonnaise. Des paysans pauvres mais qui étaient toutefois bien approvisionnés malgré une distance du littoral assez conséquente,en céramiques fines et en amphores comme l'atteste le mobilier récupéré.

Des offrandes liées au culte des dieux du foyer

Mais, au delà de la découverte intéressante d'une modeste exploitation rurale, la ferme du Pla de l'Aïgo réservait quelques surprises aux fouilleurs. La fameuse pièce centrale que nous pouvons qualifier de pièce de vie puisqu'elle contenait le foyer, a livré certes quelques pièces de monnaie très utiles pour la datation ⁶ mais surtout quatre petites fosses contenant des dépôts rituels constitués de vases couchés, accompagnés à l'intérieur comme à l'extérieur d'ossements de poules.

Voici la conclusion des archéologues: « Les gestes pratiqués lors des enfouissements ont pu être retrouvés avec une certaine précision. Ils témoignent sans conteste d'une forme d'expression de croyances magiques s'insérant ainsi dans les diverses pratiques cultuelles d'époque romaine utilisant les oiseaux. »

1994: Le barrage est fermé: l'eau monte lentement dans la vallée et recouvre peu à peu les vignes avec leurs terrasses , les taillis , les chemins d'exploitation, les canaux d'arrosage... et les vestiges de ces époques lointaines, qui après une rapide exposition à la lumière disparaissent une nouvelle fois en nous ayant dévoilé parcimonieusement quelques bribes de la grande histoire de Caramany.

Notes:

1. Lire "Un champ d'urnes funéraires au pied du Pont rose" (rubrique histoire)
2. Lire "La toponymie... ou le secret des noms de lieux" (rubrique histoire)
3. Voir dans la revue de presse: "1988 Coup de pelle symbolique"
4. Vous pouvez découvrir le rapport intégral sur le site Persée, voir Sources ci dessous.
5. Lire dans la revue de presse la toute récente découverte, octobre 2011, sur les bords du lac.
6. Ont été trouvées: un moyen-bronze de Marc Aurèle (139-161), un moyen-bronze de Faustine mère, un sesterce de Philippe l'Arabe (244-249) et d'autres pièces illisibles.

Sources:

• « Caramany, un terroir, une histoire » B. Caillens, A. Vignaud - Mairie de Caramany, décembre 1993
• « Caramany, projet de création d'un parc archéologique » A. Vignaud, B. Caillens - Mairie de Caramany avril 2002
• « Le barrage de l'Agly » brochure éditée par la Direction régionale des Affaires culturelles (Service régional de l'archéologie)et l'Association pour les fouilles archéologiques nationales, transmise à la mairie en 1994.
• « Dépôts cultuels domestiques dans la ferme d'époque romaine du Pla de l'Aïgo » par V. Fabre, V. Forest et J. Kotarba, publié dans la Revue archéologique de Narbonnaise – année 1999 volume 32 p 271 à 292, mises en ligne dans Persée, le portail des revues scientifiques en sciences humaines et sociales: www.persee.fr (recherche Caramany).

Photos: J Kotarba AFAN

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