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Caramany et ses seigneurs - 1ère partie
- Détails
- Publié le: 19/02/2017
- Auteur: Bernard Caillens
Les origines
Les fouilles archéologiques effectuées lors de la construction du barrage ont mis en évidence l'importante occupation humaine du territoire. D'une époque très reculée de la Préhistoire que l'on peut faire remonter au Paléolithique, aux premiers siècles du Moyen Age en passant par l'Antiquité, les hommes ont circulé et se sont installés le long des rives de l'Agly. Pour ne citer que deux exemples, la nécropole néolithique du camp del Ginèbre (4500 ans avant notre ère) et le champ d'urnes des Coudoumines (750 à 500 avant notre ère) attestent de cette occupation.
Au Xème siècle, on assiste sur le site de l'Horto1 à l'installation d'une petite communauté avec ses maisons et leurs silos à provisions, ses ateliers comme celui d'un forgeron et son cimetière. Elle est citée pour la première fois dans les textes en 1085, sous le nom de Caramanno2. Cette implantation se fait en rive droite sur des terrasses à l'abri des inondations, dominées au sud par un grand piton rocheux aux escarpements creusés par deux ruisseaux. Et c'est ce Grand rocher, kar magnus3, qui donnera son identité à ce qu'on peut maintenant appeler le village primitif de Caramany. Cette communauté poursuit son développement pendant quatre siècles environ à tel point qu'elle construit son église à l'emplacement du cimetière actuel.
Ces premiers Carmagnols ne le savent certainement pas mais, depuis l'an 870, leur territoire est sous la coupe du puissant comte d'Urgel et de Cerdagne, qui a hérité de la partie sud du grand comté de Razès créé par Charlemagne afin de maintenir les Maures au delà des Pyrénées. C'est aussi à cette date là qu'une petite partie de cet ensemble dans laquelle est inclus le Grand rocher, le Fenolhedès 4, apparaît dans les textes.
Le système féodal se structure peu à peu : le seigneur supérieur, le comte qui détient son pouvoir du roi, attribuant des terres à des vassaux, vicomtes ou barons, qui doivent lui rendre hommage ; eux-mêmes attribuant des fiefs à leurs propres vassaux et ainsi de suite.
En application de ce système, ce nouveau pays, le Fenolhedès, est administré dès la fin du Xème siècle, par un vicomte, dit de Vallespir, qui fait de Castelnou sa capitale. A la génération suivante, un cadet de cette maison sera la souche d'une famille dite de Fenollet du nom de l'endroit où, à son tour, il implantera sa capitale, avec également le titre de vicomte. Le premier vicomte de Fenollet dont il est fait mention en 1017 se nomme Pierre.
En bon seigneur, il divisera sa vicomté en fiefs, chacun correspondant à une zone intéressante sur le plan économique, habitée et cultivée par exemple. A la tête du fief, il nomme l'un de ses hommes, avec parfois rang de chevalier. Celui ci doit protection aux habitants qui, en échange de cette protection, deviennent ses vassaux. C'est sûrement selon ce processus qu'a été désigné, entre 1100 et 1200, un fidèle du vicomte pour administrer le lieu que l'on avait baptisé « Grand rocher » ; et en s'installant sur le piton qui dominait le village, cet homme-lige devenait la souche de la famille de Caramany avec rang de chevalier.
11ème ou 12ème siècle, naissance de la famille de Caramany
La première mention incontestable d'un membre de la famille de Caramany remonte à 1242. Le VI des ides de novembre5, le vicomte de Fenouillet, Pierre, se rend à Narbonne pour une tentative de la dernière chance, afin de récupérer ses droits sur sa vicomté. Saisissant l'opportunité du décès de Nuno Sanç, comte du Roussillon à qui le roi de France, Louis VIII, avait confié le Fenolhedès en 1226, il tente, comme le faisait ses ancêtres, de rendre hommage par l'intermédiaire du vicomte Aymeri de Narbonne au comte de Barcelone, officiellement toujours seigneur supérieur du Fenolhedès, en espérant que ce dernier lui rendra ses biens. Il est accompagné d'une délégation de ses chevaliers, parmi lesquels Hugueti de Karamanho6.
Par contre de nombreux indices laissent supposer que l'origine de la famille est plus ancienne. Bernard Alart, historien local, est formel, lorsqu'il indique qu'en 1242 « cette famille avait déjà fourni quelques membres à la Milice du Temple du Mas Deu ». Cela implique qu'Huguet de Karamanh n'était pas le seul portant ce nom et donc qu'il était issu de générations portant déjà le nom de Caramany. Dans cette relation avec les Templiers par exemple, deux documents portent la trace d'un certain Guillem de Caramany qui, en 1249, leur avait donné un champ7 et qui, si l'on fait l'hypothèse qu'il s'agit de la même personne, s'était retiré au Mas Deu à partir de l'année 1306 pour y décéder un peu plus tard avant janvier 1310 8.
D'autres sources9 font état de Ramon de Caramany qui figurait le 12 septembre 1213 dans l'avant garde du Roi d'Aragon à la bataille de Muret et en 1212 dans la même armée, lors de la célèbre bataille de las Navas de Tolosa contre les Maures. Il n'y a rien d'étrange à ce qu'un Caramany figure dans l'armée catalane puisque le Fenolhedès était passé par héritage, du comté d'Urgel et de Cerdagne au comté de Besalú, puis, en 1111, de Besalú au grand comté de Barcelone, dont le comte Ramon-Berenger IV deviendra, en 1137, roi d'Aragon.
Encore plus édifiant, l'information que nous donne Louis Fédié dans son livre Le comté de Razès et le diocèse d'Alet. Il avance qu'après l'an 1110, le vicomte de Carcassonne Bernard Aton qui possédait divers lieux dans le Razès dut faire face à un fronde de plusieurs seigneurs qualifiés de nobles rebelles parmi lesquels il cite « les seigneurs d'Arques, de Latour, de Caramany, de Puylaurens de Roquefort, de Rebenty, etc ». Comme il n'indique pas ses sources, il faut rester prudent. Mais si ses informations sont exactes, il faut en déduire que la lignée des Caramany remonte au début du 12ème siècle (1100) voire à la fin du 11ème.
Pons de Caramany
C'est la personnalité remarquable de la famille qui mérite à elle seule qu'une étude plus poussée lui soit consacrée. De nombreux documents attestent de ses multiples et importantes fonctions auprès des rois de Majorque 10.
Tous les documents confirment que la famille de Caramany a quitté le Fenolhedès pour passer en Roussillon. Mais à partir de ce fait, plusieurs questions restent sans réponse.
D'abord à quelle date ? Le traité de Corbeil en 1258 annexait bien le Fenolhedès au royaume de France, mais ce n'est que vers 1262 que les domaines sont vraiment adjugés à Louis IX11.
Ensuite, qui détenait la seigneurie au moment de ce départ ? Huguet ou son fils supposé Pons ? Un seul texte qui n'est qu'une notice historique, celui de J. Gibrat évoquant l'histoire de Corneilla de la rivière indique que c'est Pons qui est venu en Roussillon. Les actes qui le mentionnent rendent cette hypothèse plausible. C'est en Roussillon qu'il se marie avec une fille de Pierre de Vilalonga (Villelongue de la Salanque) dont on ignore le prénom. Le couple a une fille Hélène, au nom de laquelle Pons fait en 1281 une reconnaissance féodale auprès du roi Jaume II pour un champ situé à Villelongue, qui touche aux fossés de la ville ; ce champ ayant été inféodé à Hélène par Bernard de Montesquieu12.
De toute évidence, Pons héritera du fief de son beau-père. Deux actes le confirment. Le premier date de 1312 : lors de son élévation au rang de baron et de la donation par le roi Sanç, du château et des terres de Paracolls 13, Pons lui remet ses droits et possessions sur les territoires de Villalonga, Santa Maria del mar, Torrelles et Castro Rossellón14
Le deuxième de 1319 lorsque le roi Sanç donne en fief à Pierre de Pulchro Castro, le castrum de Villalonga "acheté" à Pons de Caramany15.
Au fil des années, Pons va acquérir de l'importance en étant proche du pouvoir royal et en devenant même homme de confiance et conseiller des souverains. Il est nommé viguier de Cerdagne de 1303 à 1309, lieutenant-général du roi de 1311 à 1314. En récompense des nombreux et agréables services rendus, le roi Jaume lui inféode, en 1305, le château de Coma (Comes au nord d'Eus) et sa dépendance, le villar de Stenills16 et en 1309, le quart de la seigneurie de Casesnoves (près d'Ille). En 1305, il profite de la recommandation de son souverain direct, le roi Jaume de Mallorca, qui lui même est en bon terme avec le roi de France, son neveu, pour solliciter du roi Philippe IV le Bel ses droit de haute justice sur ses fiefs de Caramany et d'Axat en royaume de France, ce qui lui sera accordé17.
En 1312, comme je l'ai évoqué plus haut, à peine nommé roi, Sanç, fils de Jaume II, l'élève au rang de baron et lui inféode le château de Paracolls.
Pons, le faidit du Fenolhedès, a donc particulièrement réussi puisqu'il se retrouve à la fois, élevé de chevalier au rang de baron, seigneur de plusieurs domaines et châteaux, et dépositaire d'une haute fonction à la Cour de Majorque.
Il semble avoir vécu, d'après les historiens, jusque dans les années 1340 où il apparaît dans un acte comme seigneur de Coma, ce qui en tenant compte de la date de 1281 lui ferait un âge très avancé.
D'ailleurs, en l'état actuel des connaissances, il est un peu difficile de s'y retrouver car dans les documents apparaissent plusieurs Pons. L'enciclopedia catalana le nomme Pons I pour montrer qu'il est à l'origine d'une lignée, puis cite Pons II, Pons III,etc; le prénom de l'ancêtre célèbre est donc devenu une marque distinctive de la famille.
En 1356, nous trouvons Pons, seigneur de Caramany, marié à Esclarmunda de Vilar, fille d'un bourgeois honoré de Perpignan18. Ce Pons-ci, qui d'après un arbre généalogique établi par des historiens catalans doit être le petit-fils de Pons I, est décédé avant 1371, année au cours de laquelle demoiselle Esclarmonde dénombre19 le lieu de Caramaing. Elle décède vers 1390 car, aux alentours de cette année là, Noble France de Caramaing vend son fief à Noble Gaucerand de Marsa. Cette France, uniquement référencée par Albert Bayrou, était peut-être la fille de Pons et d'Esclarmonde et peut-être l'épouse, d'un certain Guillaume de Lernac qui, dans un acte de 1356, s'intitule donzell de Caramany20.
C'est donc par une vente que Caramany changera pour la première fois de propriétaire.
1390 : Des Caramany aux Marsa
En 1390, Noble Gaucerand de Marsa rend hommage pour les lieux de Laprade, Aussinham (Ansignan) qu'il détient depuis au moins 1371 et de Caramaing qu'il a acheté à Noble France de Caramaing. Cet achat doit donc être récent.
Marsa est un petit village dans la vallée du Rebenty. Eclaté en plusieurs petits hameaux, il forme avec Quirbajou et Altozou, la seigneurie de Castelpor dont le château-fort s'élevait sur la rive droite du Rebenty entre Marsa et Joucou.
On peut raisonnablement penser que cette vente n'est pas le fruit du hasard. Les familles de Caramany et de Marsa devaient se connaître depuis longtemps. Lors de la Croisade contre les Albigeois, les chevaliers du pays de Sault se sont illustrés par leur résistance aux Croisés français, tout comme le vicomte Pierre de Fenouillet et ses chevaliers, dont celui de Caramany. Devenus chevaliers faidits, c'est à dire dépossédés de leurs terres pour hérésie, ils quittent le royaume de France aux alentours de 1258, date du traité de Corbeil, afin de mettre à l'abri leurs personnes. C'est ainsi, nous apprend Joseph Gibrat21 que « la famille de Marsa, originaire du Razès, était venue en Roussillon à la suite de Pons de Caramany et s'était fixée à Corneilla de la rivière... »
En 1410, Gaucerand de Marsa, seigneur de Caramaing dénombre Marsa, Quatrebonne, Carerote, Echalabre, Codernia, Spongete, Artigue, Celhe, certainement des hameaux ou des métairies.
Il décède en 1422 ou un peu avant puisque c'est en 1422 que sa veuve, Philippa de Tureyo fait le dénombrement de ses biens par l'intermédiaire de son père Jean de Tureyo. On peut lire dans l'acte « pour les lieux et autres y exprimés, Caramanio, Taissiac, Aussinhano in vicaria Fenolhedesii...22
Au vu de cet acte, l'abbé Moulis affirme que Gaucerand de Marsa n'a pas d'héritier direct. Son épouse a donc vendu ou légué ses droits sur la seigneurie de Marsa à ses suzerains directs, la famille de Niort ou d'Aniort23.
Après 1422 : Des Marsa aux Aniort
Il est certain que c'est en 1422, où les années qui ont juste suivi, que les biens des Marsa passent aux mains de la famille d' Aniort dont le berceau se situait à Niort de Sault, actuellement département de l'Aude. Cette famille s'est rendue célèbre par son soutien apportée à la cause cathare lors de la Croisade contre les Albigeois. Les frères maudits, Géraud, Bernard-Othon, Guillaume et Raymond ont accueilli de nombreux Bons hommes et Bonnes dames dans leurs châteaux avec l'assentiment de leur mère, issue de la famille de Laurac ouvertement cathare. Ils ont donné beaucoup de fil à retordre aux Croisés de Simon de Montfort, puis aux troupes du Roi de France.
Cette récupération des biens des Marsa n'a rien d'étonnant. Depuis la création de leur fief, les d'Aniort, de par leur titre de vicomte de Sault, ont été les suzerains directs de la seigneurie de Marsa. L'abbé Moulis24 affirme même que c'est un membre de la famille d'Aniort, comme cela se faisait souvent, qui a pris le nom de sa nouvelle seigneurie et donc fondé la famille de Marsa. Le passage de Marsa/d'Aniort n'est donc qu'un retour aux origines.
Le sort de Caramany reste lié à celui des d'Aniort pendant plus d'un siècle. Si de nombreux dénombrements le prouvent, ils contribuent paradoxalement à une certaine confusion, car non seulement les branches généalogiques des d'Aniort sont nombreuses, mais en plus elles gèrent leurs domaines en indivision. Le résultat c'est qu'il y a tellement d'héritages de père en fils, d'oncle à neveu, parfois d'échanges ou d'achats qu'il est difficile de s'y retrouver.
Essayons malgré tout d'y voir un peu clair.
À suivre
Notes :
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C'est la zone qui entoure le cimetière actuel.
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Marca Hispanica, célèbre ouvrage de Pierre de Marca, publié à Paris après sa mort en 1668. Cette référence a été relevée par la Direction départementale des affaires culturelles chargée de faire le préinventaire des monuments et objets remarquables de Caramany en 1977.
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Relire l'article Caramany,Karamanh, Caramaing ...et les autres, rubrique histoire
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C'est l'orthographe en Occitan communément admise. Fenouillèdes étant la francisation du mot.
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C'est à dire le 8 novembre.
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Histoire générale du Languedoc, tome huitième. Preuves. Charte 356
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Revue d'Ille et d'ailleurs – p 9, J. Tosti - 1986
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Le procès des Templiers en Roussillon - Robert Vinas - 2009
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Muret 1213, la batalla decisiva de la cruzada contra los càtaros. Orden de combato del ejército del rey de Aragón et Pedro el católico.... documentos, testimonios y memoria historica. Crònica de Desclot.- Martin Alvira-Cabrer
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L'éphémère royaume de Majorque dont la capitale était Perpignan n'a eu que trois rois : Jaume II (1276-1311), Sanç I (1311-1324), Jaume III (1324-1349).
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1258 – 1659 Fortifier une frontière – Lucien Bayrou 2004, p 20. Cette date est également retenue par Rodrigue Treton, historien spécialiste du Fenouillèdes.
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Archives départementales : Inventaire sommaire des archives antérieures à 1790 . B 16
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Ce château se trouve sur un éperon rocheux de la rive droite de la Castellane, au niveau de Molitg les bains et Campôme.
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Archives départementales : Série B Chambre du domaine, Procuration royale de Majorque B16
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Les celleres et la naissance du village en Roussillon – page 675. Aymat Catafau - Presses universitaires de Perpignan
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On trouve aussi Stanyills ou Estanyills. « Le vilar d'Estanyills, au nord de Coma, possédait son église particulière dédiée à Saint Martin, dont on trouve mention dès 1202 et qui n'a pas laissé le moindre vestige. » Abbé Albert Cazes – Conflent n°157. 1989
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voir dans cette rubrique : « Philippe le Bel accède à la requête de Pons de Caramany. »
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C'est à dire appartenant au groupe le plus influent et le plus fortuné de la ville.
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« Un dénombrement est une déclaration par écrit que le vassal donne à son seigneur du fief et de toutes ses dépendances qu'il tient de lui en foi et hommage. Le dénombrement doit d'ailleurs être précédé de la déclaration de foi et hommage. » Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des Sciences des Arts et des Métiers.
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C'est le terme employé dans le Midi pour damoiseau que l'on peut traduire par jeune gentilhomme.
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Aperçu historique sur le passé de Corneilla de la rivière- - J. Gibrat Revue catalane n°127 – 1917
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Caramany, Taichac, Ansignan dans la viguerie du Fenolhedès...
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On écrivait indistinctement Aniort ou Niort.
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page 71 dans Le pays de Sault
Les sources seront indiquées à la fin de la troisième partie.
Photos :
1: l'Horto, emplacement du village médiéval au bord de l'Agly. Photo Philippe Garcelon
2 et miniature: blason de Huguet et Pons de Caramany
3: château de Caramany agrandi et renforcé entre 1260 et 1400. Photo Philippe Garcelon
4: Blason de la famille de Marsa
5: Blason de la famille Aniort, branche des seigneurs de Bélesta
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