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Caramany et ses seigneurs - 2ème partie
- Détails
- Publié le: 12/03/2017
- Auteur: Bernard Caillens
La grande famille d'Aniort
En 1479, un acte de vente indique que Pierre Jean d'Aniort, scutifer1, seigneur de Caramaing vend Taissac (Taichac) à Noble Guillaume du Vivier. L'acte mentionne sa femme Jeanne de Sono (actuellement Usson) et son fils Bertrand d'Aniort, domicellus1
Or, il existe dans les archives du diocèse d'Alet 2, un dénombrement non daté fait par Mathieu et Jean d'Aniort, indivis. Il concerne Caramaing, Ansignan, Taissac, La Prade (Laprade) Marsa, Quirbajou et Aniort. Taissac ayant été vendu en 1479, ce dénombrement ne peut être qu'antérieur à cette date. Concernant Mathieu, nous avons, par l'abbé Moulis, quelques précisions. Il est seigneur de Belfort et marié à une certaine Delphine avec qui en 1480, il a fait serment de fidélité au roi de France Louis XI. C'est le fils de Raymond de Niort, qui porte le titre d'écuyer, seigneur de Brénac (à côté de Quillan) et qui descend par la branche directe du fameux Géraud de Niort, l'aîné des "frères maudits" cités dans la première partie. Enfin, Mathieu a deux fils Bernard et Léonard. Par contre, aucune précision sur ce Jean de Niort qui signe avec lui. Tout juste peut-on dire que c'est nécessairement un parent et qu'il doit s'agir du Pierre Jean cité plus haut. Le prénom Jean est tellement courant qu'on l'écrit parfois seul, parfois avec un autre prénom pour éviter les amalgames.
En 1503, Mathieu, toujours lui, et Bertrand de Niort font dénombrement par indivis de leurs diverses possessions. Bertrand qualifié de domicellus dans l'acte de 1479 a donc succédé à son père. Dans un autre acte hélas non daté, Bertrand dénombre seul la seigneurie de Caramaing.
En 1516, c'est Gaston de Niort qui dénombre des terres à Rodome et à Niort ainsi que les lieux de Roquefort (de Sault) et de Caramaing. Dans le même dossier d'archives, on trouve un Gausserand de Niort qui dénombre les lieux de Laprade, Marsa, Quirbajou et Aclat (Le Clat). L'abbé Moulis précise que dans ces deux actes, il est question de l'apanage, c'est à dire de la descendance de Bertrand et Jean de Niort. Gaston et Gausserand semblent donc avoir succédé à Bertrand ce qui expliquerait une division des possessions.
Jusque là, la seigneurie de Caramany est donc dénombrée en indivision par une des lignées de la famille de Niort qui comprend Jean ou Pierre Jean (1479), Bertrand (1503), Gaston (1516), Gausserand (1516) et qui se terminerait avec Elisabeth, la fille de ce dernier, et par des membres de la branche directe à partir de Mathieu (avant 1479).
Cela se complique en 1580, date à laquelle un hommage pour le fief de Caramaing est rendu par Noble Antoine de Niort, époux de Françoise de Roquelaure, que je n'ai pu rattacher ni à la lignée directe de Mathieu, ni à la lignée de Pierre Jean.
A son décès en 1588, sa veuve achète sa part à un Jean de Niort qualifié de parent avec qui la seigneurie était en indivision comme le montre un nouveau dénombrement en 1594. Ce Jean de Niort, dont l'abbé Moulis précise que sa part comprenait le moulin de la Isle, est certainement le fils d'Antoine et de Marie de Raynaud et l'époux de Suzanne de Saint Martin. Il est décédé en 1608 et appartenait à la branche directe en tant que fils d'Antoine, petit-fils de Bernard, lui même neveu du Mathieu cité plus haut.
Les archives municipales détiennent la copie en date du 21 juillet 1791 d'une «recherche générale du lieu de Caramaing», réalisée le 5 octobre 1594, justement l'année où Françoise de Roquelaure et Jean de Niort effectuaient leur dénombrement ; ce ne doit pas être l'effet du hasard. Le baile s'appelait Jean Fabre et les consuls Guillem Viguier et Jean Joulia. Avec le notaire ou le représentant de la viguerie envoyé sur place et dont le nom n'est pas mentionné, ils ont recensé 30 maisons dont 5 cortals, évalué la superficie des terres cultivées en distinguant les terres appartenant à des vassaux donc sujettes aux impositions de celles appartenant au seigneur qui en étaient bien sûr exemptées.
Avec 25 feux, la population peut être estimée à environ 125 habitants. Au tournant du siècle sous le règne du bon roi Henri IV, ils vont devenir vassaux d'une nouvelle famille les Montesquieu.
Jacquette de Niort, dernière propriétaire pour cette famille ?
Nous sommes désormais au début du XVIème siècle. Qui détient Caramaing ?
C'est là qu'entre en scène Jacquette de Niort qui a été pour moi la cause de plusieurs jours de recherches infructueuses. Elle n'est mentionnée dans aucune notice historique, l'abbé Moulis la cite une fois seulement comme héritière de Jean mais elle est bien présente sur les arbres généalogiques trouvés sur le site spécialisé Généanet. Certains amateurs la rattachent effectivement à Jean et à Suzanne de Saint-Martin, mais beaucoup d'autres plutôt à Antoine et Françoise de Roquelaure.
Pourtant, tous s'accordent sur la date de son mariage le 27 décembre 1582 à Toulouse ; sachant que Jean de Niort s'était lui même marié en 1578, il peut difficilement être son père. Seule une consultation des actes originaux nous permettraient de sortir de cet imbroglio.
De toute façon, qu'elle hérite de la part rachetée par Françoise de Roquelaure sa mère supposée ou de celle de Jean de Niort dont elle serait héritière, Jacquette de Niort devait détenir au moins une partie de la seigneurie de Caramany au moment de son mariage, puisque l'un de ses fils portera le titre de seigneur de Caramaing.
Mais il n'était apparemment pas le seul. Trente ans après le mariage de Jacquette, la seigneurie était donc peut-être encore en indivision. En effet, en 1612, le 9 février, c'est encore un d'Aniort, Gaston, qui porte aussi le titre de seigneur de Caramaing. Il est désigné par Pierre de Perapertusa pour exercer en son nom toute juridiction dans les lieux de Rabouillet, Prats, Trévillach et Séquerre.
1582 : Des Aniort aux Montesquieu
Le 27 décembre 1582, à Toulouse, Jacquette de Niort a donc convolé en justes noces avec Germain de Montesquieu, une famille dont le berceau est en Lauragais et dont les possessions s'étendent sur de nombreux villages: Montesquieu, Coustaussa, Roquefort (de Sault), Le luc, Solages (Soulatgé), Saint-Louis, Souilhe.... Germain en est le fils aîné avec le titre de baron de Coustaussa. Son frère François est à l'origine de la branche qui donnera les seigneurs de Latour, ceux-là mêmes dont l'écusson est gravée sur la Roque d'en Talou, proche de Montner qui marque la frontière entre le royaume d'Aragon et le royaume de France.
Le fils cadet de Germain de Montesquieu et de Jacquette de Niort, Pierre, héritera des seigneuries de Soulatges, Trilla, Caramany, Saint Louis en Fenouillèdes, Saint Couat en Razès.
Il se marie le 2 février 1637 avec Anne d'Hautpoul dont il n'aura qu'une fille Marie.
1666 : Des Montesquieu aux Rochechouart
Le 9 avril 1666, Marie de Montesquieu apportera ses biens en dot, lors de son mariage avec Jean Joseph Gaston de Rochechouart. Elle décède en couches le 26 décembre 1675.
Dans les archives de la sacristie, se trouvait une vieille lettre datée du 16 octobre 1693 et signée vicomte de Clermont, autorisant la communauté du lieu de Caramaing à prendre la terre qui lui sera nécessaire pour faire un cimetière. Cette donation est confirmée le 30 septembre 1695 et signée cette fois-ci Clermont Rochechouart.
En plus de nous informer qu'il convient d'agrandir le cimetière, preuve d'un développement de la population dès la fin de ce siècle, ce document confirme bien que la famille de Rochechouart est propriétaire du lieu de Caramaing. La donation a été effectuée par Jean Joseph Gaston de Rochechouart, que l'on rencontre dans les arbres généalogiques avec le titre de baron de Clermont, mais il était aussi vicomte d'autres lieux. Il disparaît le 27 juin 1695 et c'est donc son fils Charles, comte de Clermont, qui a hérité de ses biens et qui confirme sa donation trois mois après.
1711 : Des Rochechouart aux Roger3
Jean de Roger est né à Saint-Paul de Fenouillet le 20 août 1667; il fait partie de la bourgeoisie et possède le titre d'avocat au Parlement. Il se marie à Limoux, où il a sûrement l'occasion de siéger, avec Catherine de Barri. Et c'est le 5 mars 1711 qu'il achète à Charles de Rochechouart la seigneurie de Caramany4. Le montant de la vente qui comprend aussi Trilla et Casal Germa, sur la commune de Caudiès, s'élève à 34 500 livres tournois.
La famille vient habiter au château en 1715 ou 1716 et ajoute à son nom le patronyme de Caramaing. Elle apparaît pour la première fois dans les registres paroissiaux à l’occasion du décès de la petite Anne, âgée de deux ans, qui sera inhumée, privilège de la noblesse et du clergé, dans l'église paroissiale. Anne aura plusieurs sœurs Suzanne, Marie et Catherine qui apparaissent sur le registre paroissial en tant que marraines des enfants de la domesticité. Suzanne par exemple est marraine en 1721 de Suzanne Rolland et en 1724 de Charles Estèbe, fils des pasteurs (bergers) acte dans lequel elle signe Suzanne de Trilla. Cet acte nous apprend que son père, déjà décédé, portait aussi le prénom de Joseph.
Elles ont au moins un frère, Pierre Jean qui héritera de la seigneurie. Dans un acte de 1720, il rend hommage pour un fief à Montalba et porte les titres de seigneur de Mannière, de Caramaing, de Trilla, Bessaudres et autres places. Il semble que Jean et son épouse soient allés habiter à Caudiès. En 1727, Catherine de Barri ou de Barry comme l'écrit le curé de Caudiès, veuve, marie deux de ses enfants: sa fille Marie le 29 avril et son fils Jean le 13 mai. La cérémonie est célébrée à chaque fois par Messire Bernard de Barry, archidiacre de l'église cathédrale d'Alet et docteur en Sorbonne venu spécialement en tant qu'oncle des époux. Ces mariages sont l'occasion pour la famille de Roger de Caramaing de conforter son appartenance à la noblesse. Jean épouse Françoise Louise Gabrielle de Planques, fille de feu Messire Antoine de Planques, maréchal de camp des armées du Roy, inspecteur général de son infanterie, chevalier de l'ordre militaire de saint-Louis, et gouverneur du château de Puylaurens et de dame Louise du Vivier de Tournefort, une grande famille également de la noblesse locale. De ce mariage naîtront au moins six enfants dont Suzanne Françoise Jeanne5 qui épouse en 1754 à Limoux, Marc Antoine de Mauléon-Narbonne, capitaine au régiment d'Aquitaine cavalerie. A cette date là, ses deux parents sont décédés et la jeune fille âgée de 18 ans, réside au couvent de Sainte Ursule à Carcassonne, son curateur étant domicilié à Saint-Paul de Fenouillet.
1754 : Des Roger de Caramaing aux Mauléon-Narbonne de Nébias
Ce mariage peut paraître étonnant dans la mesure où la famille de Roger de Caramaing de petite noblesse est sans rapport social avec la puissante maison des de Mauléon-Narbonne. Mais plusieurs points sont à prendre en considération : d' abord les époux sont cousins parce qu'issus de la grande famille des Du Vivier. Comme nous l'avons vu plus haut Suzanne est issue du côté maternel des Vivier de Tournefort et la mère de Marc Antoine n'est autre que Gabrielle Louise du Vivier-Lansac Ensuite Suzanne est héritière et la dernière du nom, ses frères et sœurs étant morts en bas âge ou avant de se marier. Enfin l'extension de leurs domaines par ce mariage permet aux Mauléon de pouvoir légitimer le titre de marquis qu'ils portent depuis trois générations.
Dans la mémoire familiale, Suzanne de Roger de Caramaing a été une bonne épouse, une bonne mère et une bonne administratrice de ses biens.
Elle a laissé au moins une marque de son passage sur le territoire ; nous savons, en effet, par une lettre datée de 1815 qu'elle est à l'origine de la construction du pont sur la Désix dont on comprend rapidement l'importance puisqu'il permet de désenclaver Trilla et d'ouvrir un passage entre Caramany et Saint-Paul, siège du chapitre, puis vers Caudiès, siège de la viguerie du Fenouillèdes.
Son fils, aîné François Savary, né le 2 janvier 1762 à Nébias succédera à son père en 1774. Il hérite du titre de comte de Mauléon-Narbonne, est baron de Nébias, seigneur de Brenac, Trilla, Caramany, co-seigneur de Saint Arnac, mais il est aussi page de la petite écurie du roi et capitaine au régiment de Narbonne. Comme son père en 1782, il a été présenté à la Cour en 1786. Il est marié à marguerite de Béon-Cazaux dont il aura deux enfants Elisabeth et Mathieu.
Bien entendu, il n'habite pas au château mais est représenté dans la paroisse par un baile et un procureur Charles Chauvet. Chaque année il nomme deux consuls; ce sera le cas encore en 1789 puisque le 10 mai, il désigne à cette charge Michel Delonca comme premier consul et François Bedos comme deuxième consul.
En l'an II de la République, il vend le château à cinq chefs de famille du village et la plupart de ses terres, champs vignes et peut-être moulins à la riche famille Chauvet.
1790 : De la seigneurie à la commune
Le décret du 14 décembre 1789 de l'Assemblée constituante remplace le système féodal des paroisses par les communes qui vont être administrées par les citoyens. Caramaing élit ses représentants le 14 février 1790 : François Bedos (ex deuxième consul) est élu maire, Jean Gély et Michel Delonca (ex premier consul) officiers, le sieur Vaisse (officier de santé) procureur, formant la municipalité. Le conseil général comprend aussi six notables : Jean Damien Montferrand (curé), Jean-Baptiste Chauvet (bourgeois), Jean-Pierre Barrière (tailleur d'habits) Jean Rolland (traficant ou commerçant), Martin Calvet (?), Thomas Barilles (maçon).
Mais la commune de Caramaing n'en pas terminé pour autant avec ses seigneurs.
En 1812, Mathieu de Mauléon, fils de François Savary revendique encore des droits sur la forêt de Balderbe dont il prétend être le seul propriétaire. Le conseil municipal lui fait une réponse en jouant sur les mots. « depuis un temps immémorial... la commune de Caramaing ainsi que ses abitans et tenanciers ont été dans la paisible possession de faire paquager leurs troupeaux et de faire du bois sur une partie de la montagne de Valderbe qui était et est encore une partie de terrin communal sans que jamais le cidevant Seigneur de Caramaing ay tenté de troubler les dits habitants et tenanciers dans leur paisible et tranquile possession; et ce nonseulement avant la Révolution mais même depuis. » La dernière phrase est même cynique quand on sait que les de Mauléon ont dû émigrer pour échapper aux révolutionnaires. Les deux parties n'en resteront pas là et un procès va s'en suivre.
C'est aussi dans ces années-là que Caramaing deviendra ou redeviendra Caramany, l'appellation qui est toujours la sienne aujourd'hui.
Notes :
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Scutifer peut être traduit par écuyer, (Dictionnaires d'autrefois), domicellus par jeune maître de maison (Dictionnaire Gaffiot).
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Collection Doat. Diocèse d'Alet, cab D folios 30 et 70. Référence citée par l'abbé Moulis.
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On trouve aussi Rouger ou Rougié.
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Cet achat est confirmé par Monsieur le comte de Mauléon.
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Suzanne Françoise de Roger de Caramaing est né le 9 mars 1736 à Caudiès de Fenouillèdes et est décédée en octobre 1790 à Nébias.
Sources :
Les sources seront indiquées à la fin de la troisième partie.
Photos :
miniature: Blason de Huguet et Pons de Caramany
1: Blason des Aniort
2: Blason des Montesquieu: source la gran enciclopedia catalana. C'est le blason de la commune de Montesqieu (66) et il correspond à celui gravé sur la Roque d'en talou, frontière des royaumes de France t d'Aragon, à Montner.
3: Blason des Rochechouart-Clermont
4: Sur l'acte de baptême de François Savary de Mauléon Narbonne de Nébias, on distingue nettement les signatures des membres de la famille du Vivier: celle de son parrain François Savary du Vivier-Lansac, comte de Tournefort, celle de sa grand mère Gabrielle Françoise du Vivier-Lansac qui a signé Du Vivier Mauléon. En dessous, il s'agit sûrement de celle de sa mère qui a signé Mauléon Nébias Caramaing et celle de son père. Source archives familiales de Mauléon.
5: Blason de Nébias, utilisé d'après le site Si Chalabre m'était conté par Mathieu de Mauléon-Narbonne de Nébias.
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