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Guillaume de Caramany... ou de Caraman

 Cette recherche aurait aussi pu s'intituler: Quand quelques lettres peuvent changer l'histoire!

Le très précis dictionnaire topographique, statistique et postal de la France paru en 1868 mentionne:

- Caramany, canton de la Tour de France, ar. Perpignan (Pyrénées Orientales), 577 habitants

- Caraman, chef-lieu de canton, ar. Villefranche, Haute Garonne, à 687 km de Paris 2 577 habitants. Industrie: filature de laine, moulin à blé.

Impossible donc de confondre notre village du Fenouillèdes avec ce bourg du Lauragais beaucoup plus grand, et ce, d'autant plus que les deux noms ont apparemment une étymologie différente. Kar + magna, le grand rocher pour Caramany1, Cara + man, le visage et la main pour Caraman2

Orthographe, orthographe... 

 L'histoire dde Carmainge ces deux localités étant fort ancienne, elles apparaissent d'abord  dans les textes en latin, plus ou moins officiel selon le niveau d'instruction de l'écrivain concerné. Rappelons nous de Karamanho, Caramanho, Caramanio, Quero magno relevés par Pierre Ponsich1 et Chero magno relevé par Pierre Vidal3. Au cours des siècles, ce nom a été écrit, réécrit, quelquefois avec une erreur de copie, mais aussi parfois avec la volonté de « bien l'écrire » dans la langue en vigueur, le catalan (pour Caramany), puis l'occitan (pour les deux) et enfin le français. Et l'on aboutit ainsi à plus d'une dizaine d'écritures différentes pour un seul lieu. 1

C'est alors que commence le problème, car lorsqu'on donne à un moteur de recherches certaines orthographes de Caramany, on tombe sur des documents traitant aussi et parfois surtout de l'histoire de Caraman. Le nom de Caramany n'est pratiquement jamais employé pour Caraman4 et la réciproque est vraie5, mais les orthographes occitanes de Caramanh, Carmanh  et plus ou moins françaises de Caramaing, Caramain,  sont communes aux deux localités.

Comment ne pas en déduire que la prononciation de ce nom  devait être la même pour les deux lieux, c'est à dire [ carmagn ]? (Gardons à l'esprit que le gn mouillé français s'écrire ny en catalan et nh en occitan.)

Si tel est le cas, comment ne pas avoir quelque doute sur la différence d' étymologie présentée au début de cet article? Et pour compliquer la situation, j'ajouterai que l'on trouve pour Caraman, Carmaing, Carmain, Cramail, orthographes que je n'ai pas retrouvées pour Caramany.

Le risque de confusion est donc assez élevé si le document consulté ne donne pas d'indices permettant de localiser de manière irréfutable la ville concernée. C'est en gardant en mémoire ce risque de confusion que je vous propose maintenant de revenir à notre Guillaume. 

Guillaume de Caramany ... ou Guillaume de Caraman. 

Fort de quelques documents d'origine locale,  je me suis lancé dans l'évocation de Guillaume de Caramany, fervent soutien du roi de France au XVème siècle, que je présentais comme membre de la lignée des Caramany, donc comme descendant possible de Pons de Caramany, célèbre, lui, au XIV ème siècle. Alors que ce travail touchait à sa fin, quelques éléments biographiques de ce Guillaume, m'ont poussé à faire ce que je ne croyais être qu'une simple vérification du côté de la lignée des Caraman... et là tout a été remis en question.

L'appartenance de Guillaume à telle famille plutôt qu'à une autre a peut-être été déjà tranchée par des historiens qui ont eu la chance de travailler sur les documents originaux. Comme je l'ignore, je vais modestement relater comment j'ai avancé dans mes recherches. L'orthographe étant primordiale, on l'aura bien compris, je recopierai exactement la forme utilisée dans chaque document. Momentanément notre héros s'appellera désormais Guillaume de C. 

Le rôle de Guillaume de C dans l'histoire du Roussillon 

Gaston de FoixSon apparition dans l'histoire est étroitement liée à l'occupation française des comtés de Roussillon et de Cerdagne au cours du XVème siècle6. Le comté de Cerdagne en 1117, puis celui du Roussillon en 1172 avaient été rattachés , faute d'héritiers, au grand comté de Barcelone, gouverné par des comtes-rois, puisqu'il formait un pays avec le royaume d'Aragon. Au début du XVème siècle , la lignée catalane des comtes-rois s'étant éteinte, la couronne ou plutôt, les couronnes passent aux mains d'une famille d'origine castillane, les Trastamarre et les ennuis avec les Catalans commencent et s'aggravent peu à peu. En 1458, Jean II, nouvellement monté sur le trône doit faire face à plusieurs soulèvements et cherche des alliés. En 1462, un traité est donc conclu avec le roi de France, Louis XI qui propose une aide de 30 000 florins en échange des revenus du Roussillon, du Conflent et de la Cerdagne. Ces terres sont limitrophes avec son royaume dont la frontière, à ce moment là passe à Latour de France et Bélesta 7. L'accord une fois conclu, Louis XI envoie une armée qui traverse le Roussillon et part assiéger Barcelone, sous le commandement de Gaston IV de Foix, vassal du roi de France mais également gendre de Jean II.

Les Catalans, eux, font appel à Henri IV de Castille, qui ainsi s'immisce dans le fonctionnement de son voisin l'Aragon. Il repousse l'armée française et est nommé roi de Catalogne. Furieux , Louis XI fait reculer ses troupes mais se venge en occupant militairement la Catalogne Nord, ce qui ne s'est pas fait sans résistance. Céret par exemple, n'a succombé qu'après plusieurs jours de siège.

Et c'est dans ces années-là qu'apparaît  Guillaume de C dont les services ont dû être appréciés si l'on en juge par les titres qu'il se voit attribuer. Il est lieutenant-général des gouverneurs des comtés, le diplomate italien Boffillo del Giudice  puis le comte de Montpensier (voir plus loin); il se voit confier la garde 8, des vicomtés d'Ille et de Canet confisquées par Louis XI. Le successeur de ce dernier, Charles VIII, continuera à lui faire confiance puisqu'il sera nommé ambassadeur de France lors de tractations avec la couronne d'Espagne. Le document qui nous le révèle9 le désigne ainsi : « Guillaume de Caraman ou Caramaing et de Périlleux, vice-roi de Cerdagne, vicomte de Roddes. » J'aurai l'occasion de revenir sur ces titres.

Ce rôle d'ambassadeur a dû être l'apogée de sa carrière qui a connu une fin brutale à cause de sa volonté farouche de conserver les terres de Roussillon et de Cerdagne à la France, une volonté qui va finir par l'opposer à Charles VIII.

En 1492, le roi de France revoit sa stratégie politique. Il souhaite avoir les mains libres pour faire des conquêtes en Italie et ne veut pas laisser au sud de son royaume un foyer de rébellion permanent. Il décide donc de donner des preuves d'amitié aux Catalans en proposant de restituer les terres roussillonnaises et cerdanes au roi Ferran de Catalunya-Arago10.

Dans ses Biographies roussillonnaises, l'abbé Jean Capeille accorde une grande place à Guillaume de C: « Il usa de toute son influence pour faire échouer les négociations relatives à la restitution de ces comtés à la couronne d'Aragon, qui se tramaient à Narbonne entre commissaires des deux nations. Le 4 juin 1492, il écrivit à la soeur du roi de France, et lui fit écrire par les consuls de Perpignan dévoués à la France ou intimidés par ses menaces, pour représenter à cette princesse combien cette restitution serait nuisible au royaume, peu agréable aux Roussillonnais, et la supplier, en conséquence d'user de toute son influence pour en détourner le roi. Guillaume de Caramany, craignant apparemment que les consuls dont l'élection devait avoir lieu le 24 juin, ne fussent disposés à contrarier ses vues, employa tous les moyens possibles, même les plus violents, pour l'empêcher; et, y ayant réussi, il fit lui même la nomination. Les bourgeois en portèrent au roi des plaintes... et obtinrent la révocation des consuls nommés par Guillaume de Caramany. Les commissaires français se transportèrent de Narbonne à Perpignan pour y protéger la liberté de la nouvelle élection et examiner la conduite du lieutenant-général. Après avoir, le 6 septembre, installé les magistrats, élus selon les formes ordinaires, ils condamnèrent le lendemain Guillaume de Caramany, en présence de Jean de Narbonne11, gouverneur d'Elne, à une amende de cinquante marcs d'or, en punition de ses violences, et désignèrent un jour poJean de Narbonneur l'élection des autres membres du corps municipal. Ce jour arrivé, le lieutenant-général, escorté de ses satellites, se présenta  dans le local où avait lieu l'élection, en chassa les consuls nouvellement installés... et les troupes qui devaient maintenir l'ordre. Les commissaires n'étant pas les plus forts se retirèrent à Narbonne et Guillaume de Caramany installa les consuls de sa création. Le 28 septembre, Jean d'Ax, seigneur de La Serpent et viguier de Carcassonne, entra dans Perpignan à la tête d'un corps de troupes ... Des ordres du roi adressés à tous les capitaines leur enjoignaient sous peine de mort, de protéger les opérations du magistrat. En conséquence, celui-ci installa, dès le 20 octobre, les véritables consuls. Le 4 novembre, on procéda à l'élection des autres membres du corps municipal et Guillaume de Caramany fut renvoyé par devant le roi pour lui rendre compte de sa conduite. »

De toute évidence, l'abbé Capeille n'a aucune hésitation à employer l'orthographe Caramany; la comparaison de son récit avec un texte bien plus ancien montre pourtant sa tendance à réécrire les noms propres. Voici le même événement relaté par Monsieur l'abbé Louis Alexande Expilly, dans son Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules  et de la France, édité en 1770: "Ces ministres s'étant rendus à Perpignan y condamnèrent le 7 de septembre 1492, à cinquante marcs d'or d'amende, noble Guillaume de Carmaing, seigneur de Venez, lieutenant du gouverneur de Perpignan en présence de Jean de Narbonne, seigneur de Saint Martin, Gouverneur d'Elne, pour avoir désobéi au Roi et à eux."

D'autre part, l'un des courriers de Guillaume de C  qui se trouve aux archives départementales,  est répertorié de la façon suivante:  « Lettre de Charles VIII, roi de France, renvoyant au grand conseil un appel de Guillaume de Caramaing, vicomte de Roda, lieutenant du comte de Montpensier, vice roi de Roussillon et de Cerdagne, au sujet d'une discussion entre les habitants de Perpignan et les évêques d'Alby et de Lectoure et Jehan-Françoys de Cardonne, général des finances en Bretaigne, commissaires du Roi en Roussillon. »

Grandeur et décadence: 

L'abbé Capeille ne rend pas compte de la rencontre entre Charles VIII et Guillaume de C. Ce qui est sûr, c'est que les efforts de ce dernier furent vains puisque par le traité de Barcelone signé le 19 janvier 1493, le roi de France restituait au royaume d'Aragon le Roussillon et la Cerdagne. Les conséquences pour Guillaume de C ne se firent pas longtemps attendre, le roi Ferran le dépossède carrément de tous ses domaines.

Et ils étaient nombreux car il avait épousé, le 15 juin 1476, Aldonse de Torelles de Perellos, fille de Pierre de Torelles, seigneur de Perellos et de Françoise de Fenouillet, donc issue de deux grandes familles de la noblesse roussillonnaise. A ses propres titres, il put donc rajouter celui de vicomte de Perellos. Lisons encore les recherches de l'abbé Capeille.

« Le 4 juillet 1477, sous la domination de Louis XI, Guillaume de Caramany, alias de Perellos, en son nom personnel et au nom de son épouse Aldonse de Torelles, provoqua une audience dans une maison de Perpignan, que présida Jacques de Capici, lieutenant de Boffile-de-Juge. Il s'y fit attribuer la propriété de la vicomté de Perellos, conjointement avec les lieux de Millas, Céret, Allo, Saint Marsal, Néfiach, Reglella, et Stagell12

La famille de Perellos était issue de l'actuel Périllos, (à côté d'Opoul), siège de la vicomté qui comprenait aussi les paroisses de Montner, Joch, Rodès et Ropidère.A cette déjà longue énumération il faut ajouter Bouleternère qui passa dans les mains de Guillaume de C en 1485, ainsi qu'un domaine à Saint Martin de la riba, entre Millas et Néfiach. Et la liste n'est peut être pas complète.

Ayant obtenu la plupart de ces terres par son union avec la famille de Perellos, Guillaume de C avait donc tout intérêt que le Roussillon reste français pour pouvoir les garder. L'inventaire du Trésor des chartes fait état d'un « Avertissement à la reine de Castille, Léon, Aragon et Valence..., comtesse de Roussillon et Cerdagne..., par Guillaume de Caramaing (Caramany) et de Périlleux (Périllos), vicomte de Rode (Rodès), de Périlleux et d'Ille contenant l'historique de ses droits sur les divers fiefs, naguère possédés par les précédents vicomtes, Pierre, Louis, François, Pons ... de Fenouillet. »13 Est jointe à ce document une note annexe, « par articles, sur les droits relatifs à Ille, Joch, Rodès, Roquepidin et Montner. »

Mais la vengeance du roi catalan contre ce serviteur des intérêts français semble implacable. Le 28 février 1494, le procureur royal, Antoine dez Vivers  établit « la mise en séquestre des revenus de la seigneurie de Céret appartenant à noble Guillaume de Caramaing. »14 Il dut en être de même pour les autres. En 1540, sa fille, Alduncia de Caramaing et de Perellos15 intentait encore un procès pour essayer de recouvrer ses biens. Cette affaire traîna des années puisque « un arrêt définitif de la royale audience de Barcelone rendu le 20 novembre 1574 reconnut Jean de la Nuça, justicier d'Aragon et descendant des comtes de Fenouillet et de Roda pour le seigneur de Roda et de Perellos. » 

Guillaume de C à l'origine des armoiries de Millas? 

armoiries de MillasAprès ces quelques exemples, on voit bien que les références aux originaux stipulent Carmaing ou Caramaing, alors que les érudits locaux du XXème siècle, l'abbé Capeille et l'abbé Giralt utilisent plutôt Caramany. Il faut constater qu'avec leur souci de bien parler français, ils ont tendance à traduire tous les noms propres; cela peut se comprendre pour le latin, peut-être un peu moins lorsque ces noms sont écrits dans la langue d'origine. L'exemple de la transformation du patronyme italien Boffilo del Juidicio en Boffile de Juge est aussi significatif; nous viendrait-il à l'idée de transformer Faure en Forgeron ou Crabié en Chevrier?

Pour l'abbé Albert Cazes, autre historien roussillonnais, il n'y a aucun doute quant à l'appartenance familiale de Guillaume de C. Dans son Armorial du Roussillon, il décrit les armoiries de Millas de la façon suivante: « Sous l'occupation française, dans la seconde moitié du XVème siècle, Guillaume de Quermany, seigneur de Millars, avait combiné ses armes: d'or au chef de gueules avec les épis de millet de sa seigneurie... »

D'or au chef de gueules est effectivement la description en langage héraldique des armoiries des Caramany, qu'il écrit Quermany, et c'est le seul, en tenant compte de l'écriture Quero magno; c'est en tout cas ce qu'il m'avait dit lors de notre rencontre à la fin des années 1970. Mais disposait-il d'un document mentionnant vraiment Guillelmus de Quero magno?

Pas de doute non plus, nous l'avons vu, pour l'abbé Capeille qui, dans ses fameuses Biographies roussillonnaises publiées en 1914, cite chronologiquement trois Caramany: Pons de..., Guillaume de... et Joseph de... Mais pour Guillaume uniquement, il ajoute (ou de Venès ) et nous allons voir l'importance que cela peut avoir.

Pas de doute non plus pour L'enciclopèdia catalana, qui dans son texte relatif à la commune de Caramany, (terme municipal de Caramany, en catalan dans le texte), cite Ponç, bien entendu et Guillem, le texte relatif à ce dernier ressemblant étroitement à celui de l'abbé Capeille.

Et pourtant! 

La généalogie des Caraman: 

Plusieurs sites associatifs ou de particuliers comme l'Armorial des pays d'oc, Geneanet ou généalogie-québec donnent des informations allant dans le sens d'une appartenance à la lignée des Caraman mais, compte tenu des risques d'erreur, j'ai recherché des documents parmi les livres anciens numérisés. J'ai pu en consulter quatre:

– Le grand dictionnaire historique ou le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane,  rédigé par Messire Louis Moreri, prêtre, docteur en théologie, complété par l'abbé Goujet et contrôlé par le sieur Drouet, 1754

– Les Pièces fugitives pour servir à l'histoire de France par Charles de Baschi, marquis d'Aubais 1759

– L' Annuaire historique généalogique et héraldique de l'ancienne noblesse de France par Monsieur Nicolas Vitton de saint Allais, chevalier de l'ordre royal de la Légion d'honneur, archiviste de l'Ordre de Malte, etc, 1836

– L'Histoire généalogique et héraldique des pairs de France et des grands dignitaires de la couronne, des principales familles nobles du royaume, rédigée par Monsieur le chevalier Jean-Baptiste Pierre  de Courcelles, généalogiste honoraire du Roi, 1822

 

Les trois premiers auteurs évoquent un Guillaume de Carmain, le dernier un Guillaume de Caraman, mais dans tous les ouvrages la filiation est la même.

Guillaume est le fils de Hugues de Carmain, vicomte de Rodde et de Lautrec, par ailleurs seigneur de Saissac et de Venez (seigneurie qui s'écrit aussi Vénès16 et qui était liée à Lautrec.)

Hugues de Carmain tenait ses titres de Lautrec et Venez, de l'achat que son père avait fait en 1420 auprès de Philippe II, vicomte de Lautrec. Et il tenait le titre de vicomte de Rodde de sa mère Béatrix (ou Béatrice) de Perellos.

Guillaume de Carmain ou de Caraman pouvait donc s'appeler aussi de Lautrec, de Vénès.

de PerellosMais ce n'est pas tout; l'abbé Moreri signale bien que son épouse se nomme Aldonce de Périlles, pour les autres , c'est Aldonce de Toreilles et que sa fille est Aldonce de Carmain (que nous avons trouvée sous la forme d'Aldoncia de Caramaing et de Perellos). Et précision importante, en ce qui nous concerne, pour cette damoiselle, elle est qualifiée de cousine de Jean de Carmain et de Foix qu'elle épouse en 1518 dans son château de Vénès.  Ce lien de parenté confirmerait donc que son père Guillaume est bien membre de la lignée des Carmain.

Au risque de trop insister, je ferai remarquer que ces exemples montrent encore toutes les difficultés que l'on rencontre lorsque les noms propres sont transformés. A quelques lignes d'intervalle, les co-auteurs du grand dictionnaire historique ont écrit Aldonce de Périlles et Béatrix de Petit pour laquelle ils précisent qu'elle est fille de Raimond vicomte de Rodde; il faut donc bien lire pour les deux Perellos. Même chose dans l'inventaire du Trésor des chartes (cité plus haut), où l'auteur a traduit Perellos par Périlleux... qui n'existe pas et qui rappelle Périlles. Il traduit aussi Rodde par Rodès alors que la biographie des Perellos indique que le roi d'Aragon a donné à François en 1366, les villes de Rodde et d'Epila en Aragon avec le titre de vicomte. Là encore, on trouve de tout: Rodde, Roda, Rueda, Roddes, Rodès donc et même Rodez. C'est une des raisons pour lesquelles je n'accorde pas dans cet inventaire trop de crédit à la traduction de Caramaing par Caramany. Et que penser de Roquepidin à la place de Ropidère, village aujourd'hui disparu entre Tarérach et Rodès? 

Et si Guillaume de C était de Caraman? 

Cela expliquerait la petite annotation que l'abbé Capeille s'est cru obligé de rajouter (ou de Vénès); cela justifie le lien de parenté entre Aldoncia, la fille de Guillaume, et son cousin Jean de Carmain et de Foix, car je n'ai pour le moment jamais trouvé de lien entre les Caramany de Fenouillèdes ou d'Ampourdan avec les Foix.

Cela ne remet pas non plus en cause la présence en Roussillon de Guillaume de C; n'oublions  pas que l'armée de Louis XI était dirigée par Gaston de Foix qui apparemment s'est assuré le concours de plusieurs membres de sa famille: Jean de Foix (voir ci-dessous) mais aussi Jean de Narbonne (cité plus haut comme gouverneur d'Elne) marié à une Sybille de Carmain, par ailleurs tante de Guillaume de Carmain.

Cela simplifie aussi l'interprétation de l'ordre de confiscation  donné par Louis XI contre un membre de la famille de Caramany. Les archives départementales disposent en effet d'une sentence de Pierre Granier, « conseiller du roi, procureur royal et juge du patrimoine du dit sire en ses pays et comtés du Roussillon déclarant confisqués au nom du roi de France et acquis à Jean de Foix, comte de Candale, tous les biens cy après nommés demourans et habitants tant en la ville de Barcelone qu'ès autres villes et lieux du pays de Cathaloigne, tenans leur partie comme ennemis du Roy, nostre dit sire, rebelles et désobéissans au roi d'Aragon, leur souverain, syre et ami et allié du roy nostredit sire... La liste desdites personnes comprend...  En Caramany, seigneur du château de Ventello. » En peut se traduire par Messire de. Il est clair que ce Caramany est sujet du roi d'Aragon, dans le comté de Barcelone, et l'orthographe retenue est bien la catalane: Caramany

Là, il y a toutes les chances qu'il s'agisse d'un descendant de Pons du même nom. 

Par contre, cela supprimerait de l'histoire de notre village un personnage qui a joué un rôle dans celle du Roussillon et cela suggérerait que nos érudits locaux sont passés trop vite de Caramaing à Caramany. Mais il est tellement facile de se tromper.

Voici encore quelques exemples: j'avais signalé dans l'article  Bertran  Caramany, une annotation du traducteur Charles de Tortoulon qui montrait bien qu'il hésitait sur la signification que l'on pouvait donner aux armoiries de ce Bertran. Non seulement il avait rajouté « Il y a en Espagne une famille Caramany qui porte pour armes d'or au chef de gueules » ..., mais il indiquait ensuite « Il existait au XIIIème siècle dans le Toulousain une maison de Caraman qui possédait la petite ville de ce nom et portait pour armes de gueules à la tête de maure au naturel. » C'est un peu comme s'il laissait à ses lecteurs le soin de choisir.

de Caraman-RiquetMais, en terme d'erreur, il y a encore plus évident. Un certain Tallemand des Réaux a écrit des historiettes, sortes de potins mondains de son époque, le XVIIème siècle. Elles ont été rééditées et commentées en 1854. Une note, censée apporter des précisions sur le comte de Cramail est libellée ainsi: « Caramany est un village à six lieues de Perpignan et jamais terre n'a subi plus de changement d'orthographe et de prononciation. Pierre de Lautrec qui en était seigneur au XIIIème  la vendit à Pierre Duez, frère du pape jean XXII. Le fils de Pierre, Arnaud de Vèze (non plus Duez) prit alliance avec la maison d'Albret et son fils hérita de la vicomté de Carmain (non plus Caramany). ... Le comté fut acheté vers la fin du XVIII ème par Pierre Paul Riquet, lieutenant général, petit fils de l'immortel créateur de canal du Languedoc. Les descendants sont MM les comtes, marquis et duc de Caraman d'aujourd'hui. » Il va sans dire que seule la première phrase est juste. Tous les noms cités se retrouvent bien sûr dans la généalogie des Caraman. La famille De Caraman Chimay  existe toujours et  compte dans ses rangs des ducs certes, mais aussi des princes et des princesses... qui n'ont aucun lien avec Caramany, sinon nous l'aurions su.

Une confusion qui traverse les siècles. 

La petite histoire fait parfois à la grande des clins d'oeil inattendus. Apparemment, les historiens locaux ont  subtilisé à la famille des Caraman l'un des leurs, notre héros Guillaume de C. Mais il y a à peine quelques années, nos vignerons, victimes semble t-il de ce même problème d'orthographe,  ont donné aux Caraman l'un des nôtres, Hugues, car il ne vous aura pas échappé que l'une des plus prestigieuses cuvées de notre cave coopérative s'appelle Hugues de Caraman. Or Hugues est bien identifié comme un chevalier vassal du vicomte de Fenouillet. Huguet de Caramanno ne pouvait donc s'écrire que Caramany en catalan ou Caramanh en occitan ou Quermany, pour reprendre l'abbé Cazes, ou encore Karamanh pour reprendre B. Alart17, mais pas Caraman.

Cela n'enlève rien à la qualité de ce breuvage que nous dégusterons entre amis en nous disant que tout cela est bien compliqué.

 

Notes: 

  1. Vous pouvez consulter dans cette  rubrique l'article Caramany -Karamanh – Caramaing... et les autres.
  2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Caraman
  3. Vous pouvez consulter dans cette  rubrique l'article Chero magno.
  4. Je l'ai rencontré une seule fois dans un texte contemporain dont l'auteur semble être tombé dans le piège de cette fameuse confusion possible, car les sources qui infirment son appellation sont reconnues comme plus authentiques.
  5. L'emploi de Caraman pour Caramany a quand même été fait dans une lettre datée de 1867 et dans une carte hollandaise de 1662 alors qu'il s'agissait bien de Caramany. (Je les ai mentionnés dans l'article Caramany, etc...).
  6. L'existence du Conflent en tant que comté a été très courte, il a été inclus dans la Cerdagne.
  7.  Traité de Corbeil 1258
  8.  Abbé Giralt, étude publiée dans le bulletin de la SASL n°46 1905
  9.  Etude publiée en 1892 par Monsieur de Maulde la Clavière, La diplomatie au temps de Machiavel consultable à la bibliothèque nationale de France.
  10. Dans nos livres d'histoire, c'est Ferdinand d'Aragon.
  11. Cette mention n'est pas innocente, Jean de Narbonne était par sa mère cousin germain de Guillaume de C.
  12.  Llo, Régleilles était un hameau près d'Ille sur Têt sur la rive gauche, Estagel.
  13.  Les parenthèses sont de l'auteur de l'inventaire.
  14. archives départementales  série B
  15. archives départementales série B, mais l'abbé Capeille écrit Aldonse, l'abbé  Giralt préfère Aldunsia de Caramany et de Perellos et dans l'inventaire sommaire des archives du Tarn, on trouve Aldonce de Caramaing et de Périlhous, dame de Vénès.  (Qui affirmait que les noms propres n'ont pas d'orthographe?)
  16. La commune de Vénès se trouve actuellement dans le Tarn.
  17.  Famille de Caramany, page 36, de son ouvrage Notices historiques sur les communes du Roussillon.

 

Sources:

  • Dictonnaire des Biographies Roussillonaises, abbé Jean Capeille 1914
  • Précis historique sur la seigneurie de Llo par Monsieur l'abbé Jean Capeille, Bulletin de la SASL, société agricole scientifique et littéraire des PO n°49 1911
  • Notice historique de la vicomté d'Evol par monsieur l'abbé Giralt page 244, Bulletin de la SASL,  n°46 1905
  • Notices historiques sur les communes du Roussillon. Bernard Alart 1868
  • Armorial du Roussillon par l'abbé Albert Cazes
  • Histoire du Roussillon:http://histoireduroussillon.free.fr/Histoire/TraiteBayonne2.php
  • Encyclopedia catalana, article Caramany
  • Inventaire sommaire des archives départementales des PO antérieures à 1790
  • Inventaire sommaire des archives départementales du Tarn antérieures à 1790
  • Série J inventaire du Trésor des Chartes par H de Curzon J 1050
  • La diplomatie au temps de Machiavel publié en 1892 par Monsieur de Maulde la Clavière,consultable à la bibliothèque nationale de France.
  • Le grand dictionnaire historique ou le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane,  rédigé par Messire Louis Moreri, prêtre, docteur en théologie, complété par l'abbé Goujet et contrôlé par le sieur Drouet, 1754
  • les Pièces fugitives pour servir à l'histoire de France par Charles de Baschi, marquis d'Aubais 1759 l' Annuaire historique généalogique et héraldique de l'ancienne noblesse de France par Monsieur Nicolas Vitton de saint Allais, chevalier de l'ordre royal de la Légion d'honneur, archiviste de l'Ordre de malte, etc, 1836
  • l'Histoire généalogique et héraldique des pairs de France et des grands dignitaires de la couronne, des principales familles nobles du royaume, rédigée par Monsieur le chevalier Jean-Baptiste Pierre  de Courcelles, généalogiste honoraire du Roi, 1822
  •  Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules  et de la France, par M.l'abbé Louis Alexande Espilly M DCC LXX
  • Les historiettes de Tallemand des Réaux, troisième édition par MM de Monmerqué et Paulin Paris, 1854 

 Photos:

         Les armes de la famille de Carmaing, photo 1 sont reproduites avec l'aimable autorisation de Monsieur Daniel de Rigal (extrait de son site généalogique)

         Les armes de Jean de Narbonne, photo 3 et celles de la famille de Perellos, photo 5 ont été dessinées par Monsieur François Frémeau que nous remercions également pour nous avoir autorisés à les reproduire. (mes ancetres.canalblog.com)

         Les photos 2 et 5 proviennent de wikipédia, la photo 4 du site de la mairie de Millas.