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L'arrivée de l'électricité
- Détails
- Publié le: 26/02/2013
- Auteur: Bernard Caillens
Au cours du XIXème siècle, les découvertes sur l'électricité se multiplient. Avec l'invention de la lampe à incandescence1 et la mise au point du transport du courant par des réseaux électriques, le nouveau siècle s'annonce porteur de belles innovations. En 1900 déjà, l'Exposition universelle de Paris a rendu hommage à celle qu'on appelle la fée électricité, tant les changements qu'elle doit apporter font rêver. Pourtant elle n'est arrivée à Caramany qu'en 1928 2, après de longues années de patience.
Une longue attente
Car l'idée de doter le village de ce grand progrès technique avait germé dans la tête de nos édiles bien avant.
Dès 1914, en effet, le 25 avril, le conseil municipal accepte la création d'un syndicat entre les communes de Caramany, Cassagnes, Bélesta, Montner, Rasiguères, Planèzes et Lansac « qui aurait pour but la création d'un réseau d'éclairage électrique. Ce réseau relierait l'usine du Régatieu aux dites communes. Il serait loué à Monsieur Abram, ingénieur électricien à Saint Paul qui en a dressé les plans et devis, pour une période de 40 années, à charge pour lui d'entretenir en bon état les supports, conducteurs, appareils de transformation en un mot tout l'ensemble du réseau créé.
En échange de cette location, M Abram entretiendrait gratuitement dans chaque commune un nombre de lampes publiques de 16 bougies à filament métallique calculé à raison de 50 lampes pour mille habitants, soit pour la commune de Caramany 30 lampes..., plus une lampe par salle de classe et une lampe pour la Mairie.
M Abram aurait le droit exclusif de vendre le courant électrique aux particuliers.. à savoir: lampe 20 bougies.....30 francs par an et le kilowat-heure au compteur 0,80F.
En principe, le coût de l'installation serait fixé à 8 000 francs pour Caramany. »
Ce syndicat prend le nom de Syndicat de la haute vallée de l'Agly et son siège est fixé à Caramany, commune la plus importante en population.
Hélas, 1914 est aussi l'année du déclenchement de la première guerre mondiale et le projet restera sans suite. De 1914 à 1918, les affaires de la commune tournent au ralenti. Le maire, Paul Gély-Fort est mobilisé de même que sept autres conseillers. Restent seulement au village, Jean Estèbe, le plus âgé qui prend la présidence de ce conseil restreint, François Bourdanel, Justin Lacourt et Olivier Lacourt.3
Après l'armistice de 1918 et un temps nécessaire au redémarrage d'une vie normale, on reparle de l'électricité. Nous sommes en 1921 et c'est pour dissoudre le Syndicat de la haute vallée de l'Agly... et préparer un nouveau projet.
Le 27 décembre 1922, l'ordre du jour du conseil municipal mentionne: Syndicat intercommunal d'électrification. M le Maire informe ses conseillers de la tenue de conférences intercommunales au sujet de l'électrification du territoire et de la création d'un syndicat intercommunal pour le même objet. Le territoire concerné serait bien plus important que le précédent puisqu'il engloberait Caramany, Tarerach, Campoussy, Sournia, Rabouillet, Pézilla, Prats, Feilluns, Le Vivier, Vira, Fosse, Fenouillet, Montalba, Bélesta, Cassagnes, Planèzes, Rasiguères, Montner, Lansac, Saint Martin, Arboussols et Trilla.
Il donne ensuite lecture de la lettre du président du comité d'organisation formé à Sournia le 17 décembre 1922 dont il est membre en tant que conseiller d'arrondissement.
« Le conseil... décide de donner l'adhésion de principe (on va voir que le mot avait son importance) au syndicat intercommunal en formation, délègue M.M Gély-Fort, maire et Lacourt Justin, adjoint pour représenter la commune aux séances du comité et demande à Monsieur le Préfet de vouloir réclamer à Monsieur le Ministre de l'Agriculture le concours gratuit du service du génie rural pour l'élaboration du projet de réseau électrique à préparer ainsi que pour aider le syndicat dans ses négociations avec la société hydro-électrique Roussillonnaise 4. »
Cette requête ne restera pas sans suite puisqu'en 1923, le génie rural a effectivement établi un projet. Le problème c'est qu'il est sensiblement différent du projet initial. Il prévoit en effet de créer deux syndicats distincts, l'un devant être desservi par la Société hydro-électrique roussillonnaise, l'autre par l'Industrie électrique Ecoiffier5. Dans cette nouvelle proposition, Caramany était groupé avec les communes du canton de Sournia et celles de Saint Paul de Fenouillet, les autres communes du canton de Latour de France étant à part.
Même si le conseil municipal du 20 octobre 1923 donne son accord de principe, les discussions se poursuivent. Et elles ont dû être nombreuses et difficiles entre communes et génie rural car aucune décison n'est prise dans les trois années qui suivent ; le registre de délibérations ne mentionne plus ce dossier et pourtant Paul Gély-Fort se démène pour le faire avancer. Son carnet de correspondance fait état de courriers à ce propos: le 7 janvier 1925 à la Société hydro-électrique du Roussillon pour demander des renseignements; le 2 février de la même année, demande de renseignements sur l'éclairage électrique (certainement à la société Ecoiffier); le 16 octobre 1925, il écrit à MM. Baux et Pélissier, respectivement conseiller général du canton de Sournia et conseiller d'arrondissement pour le même canton mais aussi membres du comité d'organisation du syndicat intercommunal; le 16 mars 1926, il envoie un courrier aux députés à Paris pour solliciter une subvention.
Tout est à refaire
Fin 1926, les choses avancent... mais à reculons. Car, en trois ans, les prix ont augmenté et le conseil municipal dans sa séance du 4 novembre prend une position radicale.
« Le conseil... considérant que si on avait accepté de faire partie du syndicat de la région de Sournia, malgré que ce fut un non sens géographique, cette acceptation était basée uniquement sur le montant du devis dressé par les soins du service du génie rural et s'élevant à la somme de 988 000 f sur laquelle somme l'Etat a accordé une subvention de 419 960 f et le département le 30%; Considérant que l'augmentation de 425 000 F crée des charges fantastiques pour la population et tout à fait hors de proportion avec ses moyens, décide à l'unanimité de renoncer à l'exécution de ce projet. Demande à ce que la commune de Caramany soit disjointe du syndicat de la région de Sournia. Considérant en outre que les communes, étant en tutelle de l'administration, il appartient à celle-ci de veiller d'une façon tout à fait paternelle à leurs intérêts, demande instamment à l'autorité préfectorale et à la Commisson départementale de faire droit à sa demande. »
Nos aïeux étaient-ils condamné à s'éclairer à la bougie? Bien sûr que non car le maire ne baisse pas les bras. Les choses ne devant pas bouger dans le bon sens, le 18 février 1927, il réunit le conseil pour maintenir la demande de non rattachement au syndicat de Sournia, demande appuyée par une formule destinée à montrer l'exaspération de tous les habitants:«... la population ne comprenant pas que depuis plus de 14 ans que l'on cherche à créer l'éclairage public, on n'ait encore abouti à rien du tout et espère que satisfaction lui sera enfin accordée. »
Il faudra encore un an de tractations pour que le service du génie rural modifie le projet. Enfin on apprend par la délibération du 27 avril 1928 que « le projet d'électrification de la commune a été soumis courant mars à l'examen de Monsieur le Ministre de l'agriculture aux fins d'approbation et de subvention de l'Etat » Aprés la sollicitation, le 16 mars d'une subvention complémentaire égale aux 10% du montant du projet, ce qui semble dire que le financement est bouclé, le conseil délibère sur l'autorisation de commencer les travaux:
« Considérant que la réalisation du projet d'électrification de la commune répond à une impérieuse nécessité, Considérant que cette amélioration est instamment réclamée par la population qui s'impose un lourd sacrifice financier en souscrivant à fonds perdus la totalité du montant de la dépense à la charge de la commune. Considérant que l'éxécution immédiate du projet dressé par le service du génie rural améliorera les conditions d'existence d'une laborieuse population rurale et permettra notamment de doter la cave coopérative d'un outillage perfectionné avant les vendanges prochaines,
Demande à l'unanimité
1° Que l'administration supérieure autorise exceptionnellement l'éxécution du projet... sous réserve de l'allocation ultérieure des subventions de l'Etat;
2° Que M le Maire fasse toute diligence en vue d'obtenir cette autorisation. »
Le village de Caramany enfin touché par le progrès
La course contre la montre pour être prêt avant les vendanges semble bien engagée puisque chaque mois qui passe apporte sa pierre à l'édifice.
En mai, le 30, le conseil approuve le cahier des charges avec la société Ecoiffier. La commune a donc été rattachée au même syndicat que les communes de son canton.
En juin, le 20, il mandate 71 000 f (qui représente la part communale) à la société Ecoiffier et le 25, apprenant que cette dernière a demandé officiellement à Monsieur le Préfet la concession de distribution, il demande que les travaux soient éxécutés sans retard, et on le comprend.
Plus de nouvelles du projet en juillet et août, mais tout porte à croire que les travaux ont été réalisés au cours de l'été. Le registre de délibérations fera encore état de ce projet une dernière fois le 7 septembre 1928. M le Maire rappelle « les conditions dans lesquelles a été réalisé avec l'aide du génie rural le projet d'électrification, fait état du sacrifice sans précédent que s'impose la commune en versant à fond perdus par voie de souscription volontaire une somme de 71 000 f sur une dépense totale de 117 568 f et demande que le département accorde une suvention forfaitaire de 20 000 f . » Ensuite plus de mention dans les registres.
L'arrivée de l'électricité a marqué les habitants.
Cette date est confirmée sans hésitation par Anne-Marie Sales qui la tient de ses parents et par André Dauriach dont l'épouse Jeanine Montferrand se plaisait à dire qu'elle était née l'année de l'arrivée de l'électricité. Je l'ai même retrouvée sur une page de carnet d'écolier que j'avais soigneusement gardée mais que j'avais oubliée depuis. En 1963 ou 1964, l'institutrice nous avait demandé, à nous les grands de cours moyen, d'interroger nos parents sur l'histoire de Caramany et c'est un des renseignements que j'avais donc fièrement ramené à l'école, mes recherches, il est vrai, étant facilitées par le fait que je puisse directement interroger le maire, qui n'était autre que mon grand-père paternel Clément.
De plus mon oncle René Grieu, né en 1922, au cours d'un de nos échanges sur le Caramany de l'ancien temps m'avait raconté que pour marquer ce grand événement, c'est le jour de la fête que l'on avait allumé la première lampe sur la place. A l'époque, la fête principale était celle de la Saint Etienne, saint patron de l'église, que l'on honorait les 3 et 4 août 6 .
Quelle que soit la journée retenue, l'illumination de la place publique a dû être un grand moment pour nos anciens qui étaient loin d'imaginer toutes les utilisations qu'allait permettre l'électricité, qu'ils considéraient uniquement au départ comme un moyen pour mieux s'éclairer. Ils ne lui faisaient d'ailleurs pas totalement confiance d'autant plus qu'elle était payante. On installait donc un mimimun d'ampoules par maison, on gardait les vieilles habitudes de se lever et de se coucher avec le soleil, l'interrupteur étant utilisé avec parcimonie, et surtout on gardait sous la main les bougies et les lampes à pétrole car au moindre orage ou coup de vent la lumière partait. C'était encore le cas dans les années 1960.
Que de chemin fait depuis! Paul Gély Fort et ses conseillers ne pouvaient imaginer en se battant pour raccorder Caramany au réseau, combien nous serions dépendants, en ce XXIème siècle, pour tous nos besoins vitaux, manger, se laver, se chauffer, travailler, communiquer de celle qui demeure encore aujourd'hui la fée électricité.
Notes:
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Thomas Edison en 1879.
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40 ans tout de même après la décison du conseil municipal de Paris de créer un réseau de distribution de l'électricité (1888) et 30 ans après Perpignan (1898).
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Sont donc mobilisés: Paul Gély-Fort, Joseph Roch Caillens, Jean Bascou, Jean Estèbe, Pierre Dimon, Justin Lajou, Jules Montferrand et Michel Pratx. Le 10 avril 1916, le conseil municipal est même réduit à deux personnes: Jean Estèbe et Olivier Lacourt.
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Cette société a été créée par Edmond Bartissol, ingénieur des Ponts et chaussées. C'est lui qui a démantelé les remparts de Perpignan, puis qui est devenu le seul fournisseur en électricité de la ville en construisant une centrale électrique à l'intérieur de l'église Saint Jean le vieux. Il est aussi à l'origine de la construction de la cité Bartissol et avait imaginé dès 1882, un projet de barrage sur la Têt, puis sur l'Agly (déjà) et le Tech pour l'irrigation de la plaine.
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Il s'agit d'une société appartenant au docteur François Ecoiffier, promoteur de société de production d'électricité. Il possédait des usines à Thuir, Fuilla et Villefranche de conflent. Il fut maire de Thuir de 1892 à 1902.
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J'ignore à quelle date a été instaurée la fête du 4 septembre, c'est donc à vérifier.
Sources:
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registres des délibérations du conseil municipal de 1914 à 1928
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archives familiales
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témoignages des Carmagnols
Photos:
1 partie d'une carte postale: l'installation électrique de la place publique vers 1937.
2 publicité de la société hydro-électrique du Rousillon en 1940
3 Edmond Bartissol , créateur de la société hydro-électrique du Roussillon, avec l'aimable autorisation du webmaster du site http://pyreneescatalanes.free.fr
4 Les nombreux fils installés en façade des habitations étaient un support idéal pour les hirondelles. Cette vue a été prise avant 1971 par Eliane Grieu, de son balcon.
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