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Les moulins de Caramaing-4éme partie
- Détails
- Publié le: 27/06/2024
- Auteur: Bernard Caillens
IV. Du seigneur au notable
IV.1 Charles Chauvet est arrivé à ses fins :
Il a pu procéder à l’acquisition des biens de la famille Mauléon. Nous en avons confirmation dans l’inventaire de sa succession dressé en juillet 1807*1. L’acte d’acquisition a été signé par devant maître Majorel, notaire de Limoux le 13 thermidor an VIII (1er août 1800). L’acheteur dispose d’énormes capacités financières puisque le montant de la vente était de 28 000 francs (déjà estimé à 38 000 francs sept ans après) par les experts.
Si vous êtes un lecteur assidu de la rubrique "Histoire" du Pari du lac, vous ne serez pas étonné de retrouver encore une fois l’empreinte de la famille Chauvet dans l’histoire de Caramany.
En effet, c'est par excellence une famille de notables, non seulement de Caramaing mais du Fenouillèdes, qui, sur plusieurs générations avant et après la Révolution, a dominé la vie sociale, politique et économique du village. Sur le plan politique, les Chauvet ont su utiliser le système féodal pour asseoir leur influence, en se mettant au service du seigneur qui avait le désavantage, contrairement à eux, de ne pas résider sur place. Charles Chauvet avait la charge avant la Révolution de procureur de Monsieur le Comte. Dès 1789 et après, sur trois générations, ils ont activement participé au bouleversement politique du pays : Jean-Baptiste, père de Charles, a été élu député de la paroisse lors de l'élaboration des cahiers de doléances, puis notable dans la première municipalité et enfin conseiller général représentant le canton de Latour de France, lors de la création du premier Conseil général des Pyrénées orientales. Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, Charles a été désigné maire de Caramaing en 1793 ; il présidera même, deux ans plus tard la municipalité du canton avant de redevenir maire en 1800 puis de prendre les fonctions de juge de paix de ce même canton. Enfin, Louis Valentin, fils de Charles a été maire à plusieurs reprises avec des fortunes diverses selon les changements de régime. Il a aussi été au cœur de la guerre de l'eau qui a bouleversé la vie des Carmagnols tout au long du XIXe siècle.
Et ce n'est pas un hasard si leur principal adversaire, on peut même dire ennemi, a été le représentant d'un autre pouvoir, le pouvoir religieux, incarné par l'abbé Jean Damien Montferrand, curé de la paroisse à partir de 1785.
Bien avant 1789, les Chauvet disposaient d'une certaine aisance financière qu'ils avaient bâti en créant un commerce de draps. Sur les registres paroissiaux, leur nom est toujours précédé de sieur pour les hommes et de demoiselle pour les dames, ce sont les seules qui bénéficient de ce privilège. Il faut dire que ce sont tous des lettrés, épouses et enfants compris alors que les habitants à l'exception du curé bien sûr, du receveur des Fermes du Roy, du chirurgien et du tailleur d'habits sont illettrés1.
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions qu'ils aient saisi l'occasion de la vente des biens nationaux pour développer leurs propriétés. Ce sont des hommes d'affaires, des marchands comme l'on dit dans les registres2, ils n’ont jamais porté le titre de cultivateur et à peine achetées, ils mettent les terres en fermage pour en tirer un maximum de revenus en étudiant le moindre détail. Arrêtons-nous un moment sur le bail signé le 2 thermidor an X (1802) avec le Carmagnol Jean Pierre Estève, ménager, qui s’élève quand même à 1 900 francs par an*2. Les bailleurs, ce sont Jean Baptiste et Charles Chauvet, père et fils, se réservent le jardin appelé le Prat del four ; ils recevront du preneur tous les 11 brumaire 8 (illisible) et 12 poules, et une fois par an, 20 quintaux d’auzerde ou foin rouge de bonne qualité au choix du bailleur, plus la paille de cent gerbes de bled le tout posté dans le pailler qui lui sera indiqué, plus la paille de seigle dont les bailleurs auront besoin pour faire litière à leurs chevaux. Les bailleurs seront libres de prendre pour manger les raisins et les fruits qui pourront leur faire plaisir. Ils choisiront les hommes chargés de tailler les oliviers et payés par le preneur, la moitié du bois en provenant leur appartiendra. Parmi les 20 clauses du bail, les 3°, 16° et 20° confirment que les Chauvet détiennent bien la propriété des moulins.
« 3° : Lorsque le preneur voudra deffaire (sic) les oliviers, il ne sera tenu que de payer les hommes… et en outre un dourg3 d’huile pour le droit du moulin, la dite huile bonne et lampante.
16° : Il sera libre aux bailleurs de changer l’alignement du canal du moulin sans être tenus d’aucune indemnité. (Cela concerne certainement les terres du Jounquié).
20° : Le preneur sera tenu de laisser au moulin à farine la clef du cazot du courtal du moulin afin que dans le cas d’une inondation le meunier puisse s’y réfugier et y enfermer leur cochon ou volailles, et cela jusqu’à ce que le bailleur ayant construit un couvert convenable… »
Dans la famille Chauvet, pas plus que de cultivateur, il n'y a jamais eu de meunier. Je pense donc que les moulins n’étaient pas une priorité : c’étaient deux pièces parmi d’autres du grand domaine Mauléon qui permettaient avec tous les hectares de terres cultivées de contrôler la presque totalité de la vie économique de la commune. Céréales, vin, olives, huile, légumes, fruits, viande, laine, chanvre, alimentation et fourrage pour les animaux, les Chauvet produisaient de tout. L’effectif de leur cheptel parle à lui tout seul ; 2 chevaux, 4 bœufs, 529 bêtes à laine, sans oublier une truie élevée dans la « courtille » proche de la maison d’habitation*2.
*1 ADPO 3E 72/15 notaire Denis Bauby Latour acte 97
*2 ADPO 3E 34/44272/15 notaire Canavy Saint Paul de Fenouillet
IV.2 Le destin tragique d’un grand propriétaire
Les achats de terres en 1800 n’ont pas suffi à Charles Chauvet. Dans les années qui ont suivi, il s’est rendu maître de la grande métairie appelée le Mas d’Ansignan, sur le territoire de la commune du même nom, comprenant champs, vignes et jardins, puis de la petite métairie du Rentadou en partie sur les territoires d’Ansignan et Saint Arnac, puis d’une bergerie et de champs sur le territoire de Trilla, tous ces biens faisant partie autrefois des propriétés Mauléon*. Par acte du 29 avril 1807, il acquiert au terroir d’Ille une métairie avec ses dépendances appelée le Mas d’En Casenoves et un champ sur le même terroir, le tout pour un montant de 43 000 francs, encore une somme énorme*. Mais deux mois plus tard, il est rattrapé par son destin. Le 23 juin, à huit heures du soir, il décède à son domicile de la rue du Rebelli. Il n’a qu’un peu plus de 44 ans. Il laisse une épouse, dame Eléonore Lapasset, un fils majeur Louis Valentin et six enfants mineurs Jean (ou Jean Pierre), Léon Bernard, Charles Angel, Pascal Auguste et les demoiselles Sophie et Emilie. Ce sont eux qui vont devoir maintenant gérer la fortune constituée par leur mari et père, dont le moulin à farine, et ils ne se montreront pas à la hauteur de cet enjeu.
*ADPO 3E72/15 notaire Denis Bauby acte 97
IV.3 Epouse et enfants mettent en fermage les biens hérités
Dame Eléonore Lapasset a quitté Caramaing, laissant la grande maison familiale à son fils aîné Louis-Valentin pour habiter à Latour. Le 21 août 1811*1, elle passe un bail concernant le moulin avec Hippolyte Busquet, originaire de Saint Paul et fermier au Régatieu où il déclare la naissance de deux filles en 1803 et 1805. C’est encore un frère de Germain et s’il paraît logique de penser qu’il a pris sa suite, cela sous-entendrait que ce dernier a fait fonctionner le moulin de 1798 à 1811.
Alors que le bail était de 5 ans, le moulin change de main moins de quatre ans plus tard. Charles Angel, fils d’Eléonore, signe un acte de fermage chez le notaire Lacombe, le 1er mars 1815*2 : « Monsieur Charles Chauvet, habitant à Saint Paul, bourgeois, comme propriétaire d’un moulin à farine et d’un champ appelé le camp d’en Pere, le jardin attaché au moulin ainsi que le lopin de terre dont se trouvait en possession le cy-devant fermier du moulin, le tout situé sur le territoire de Caramaing, baille en afferme pour un an et demi au Sieur Jean Antoine Pons, meunier résidant à Ansignan… à la charge pour lui de payer pour le temps du terme de 15 mois la somme de 1 500 francs payable de 6 mois en 6 mois ; de plus le preneur payera en nature aux fettes de la Noël 12 poules ou chapons et huit canards, tout de bonne recette. Le preneur sera tenu aux soins d’entretenir le canal et de tenir l’eau nécessaire au moulin à ses frais. Le bailleur fera réparer le franc-bord du côté de la rivière à prendre au respalinier de la chaussée qui a été emportée jusqu’au reg de Pelletes. »
Jean Antoine Pons n'est pas un nouveau venu car il a vécu durant son adolescence sur place ; c'est en effet le fils aîné d'Antoine Pons et d'Eulalie Bouscail, meuniers de 1784 à 1789. Il va d'ailleurs s'installer définitivement au village et par la force des choses devenir le meunier fermier de plusieurs propriétaires successifs.
Ce bail de 15 mois est étrange et l’on peut se demander si Charles Chauvet, fils, n’a déjà pas décidé de vendre cette propriété. C’est en tout cas ce qui se fera très vite ; si le bail est arrivé à son terme en juin 1816, la propriété a été vendue à Pierre Grand d’Ansignan entre juin et septembre.
Et c’est par la vente d’un Chauvet, l’arrivée des Grand à Caramaing ; conséquence directe, les deux familles vont se battre pendant 26 ans pour dominer l’activité meunière sur le village
*1 ADPO 5W794 Cahier de l’Enregistrement
*2 ADPO 3E34/436 notaire Jean Lacombe
IV.4 La concurrence féroce Chauvet/Grand
A la différence des Chauvet, les Grand ne sont pas au départ des notables ; ils se sont investis de génération en génération dans le domaine de la meunerie, à la fois comme meuniers faisant fonctionner leurs usines, mais aussi comme entrepreneurs brassant des achats et des ventes de moulins*1. Tout commence en 1743, lorsque Benoît Grand, originaire de Pézilla de Conflent épouse à Ansignan, Marie fille de Louis Raspaud, meunier de son état.
Après la Révolution, Jean-Pierre Grand que l’on appelle couramment Pierre, aubergiste, issu du mariage ci-dessus est propriétaire du moulin de las Ortes à Ansignan que la famille Raspaud avait acheté comme bien national appartenant autrefois au comte de Mauléon.
Mais son commerce est menacé par un autre moulin construit sur la rive droite de la Desix, au lieu-dit la Peychère de la Figuerasse appartenant à Jean Antoine Pons, le meunier que nous avons rencontré au paragraphe précédent.
Afin d’éviter cette concurrence, Pierre Grand qui vient d’acheter le moulin du Jounquié propose à Jean Antoine Pons un accord, le 22 septembre 1816 : un bail à ferme de ce moulin contre une rente de 700 francs tandis que lui-même louera pour 50 francs le moulin sur la Desix*2.
Pierre Grand, a transmis le moulin du Jounquié à son fils Benoît. Celui-ci en était déjà propriétaire le 3 juillet 1822*3.
A ce moment-là, Louis Valentin Chauvet qui ne supporte pas l’intrusion d’une famille extérieure dans son pré carré, se prépare à ouvrir les hostilités en faisant construire un autre moulin à farine au Prat Gran. Ce ne sera pas un grand succès, tous les documents que l’on trouve par la suite, montrent que ce petit moulin ne sera pas de taille à rivaliser avec le moulin historique.
Les Chauvet font alors une autre tentative. En 1827, Jean Chauvet, un autre fils de Charles, propriétaire du Mas d’en Casenoves à Ille sur Têt, moitié pour l’avoir hérité de son père, moitié qu’il a racheté à son frère Bernard, propose un échange à Benoît Grand*4 : la moitié de ce mas contre les moulins de Caramany et de Bélesta « dont le revenu annuel est de 500 francs, ce qui leur donne une valeur de 10 000 francs », et une soulte de 5 500 francs, laquelle somme sera payée au Sieur Baptiste Pugnau Sire de Montalba, en déduction de la somme de 11 200 francs que le dit Sieur Chauvet doit aux termes d’une obligation pour cause de prêt.» Jean Chauvet brasse beaucoup d’affaires mais fait aussi apparemment beaucoup de dettes.
Une clause finale confirme, si besoin en était la volonté des Chauvet « Il ne sera pas permis à Benoît Grand ou à ses héritiers, de construire ni d’établir dans la commune de Caramany ni dans l’étendue de son territoire, aucun moulin à farine ni même de moulin à huile afin de ne porter préjudice au dit Sieur Chauvet. »
Enfin petit détail anecdotique : dans l’échange était comprise « une meule en pierre de Régleille qui se trouve dans le moulin à farine de Caramany ». Si elle est mentionnée, c’est qu’elle est en bon état, ce qui nous rappelle qu’en 1725 déjà (chapitre II.5), les meules provenaient de la même carrière.
La suite des événements est étonnante mais comment ne pas la mettre en relation avec les dettes de Jean Chauvet. Le 24 septembre de la même année, ce dernier revend le moulin de Caramany à Benoît Grand pour la somme de 9 000 francs. Et le 26 décembre il se débarrasse du moulin de Bélesta, racheté par François Fontvieille, alors meunier de Caramany. (Et oui, il faut s’accrocher pour suivre.)
Louis Valentin Chauvet reviendra alors à la charge en faisant construire le moulin de la Rouïre en 1834. Cela fait beaucoup pour Benoît Grand qui, en 1842, abandonnera la bagarre et lui vendra celui du Jonquié*5. La levée des hypothèques est publiée dans le Journal des PO du 7 janvier 1843. Il est précisé que « Louis Chauvet et son fils Jacques Eugène Louis Edmond ont acquis de Benoît Grand, propriétaire domicilié à Saint Paul, un moulin à farine à deux meules au quartier appelé le Junquier, ainsi que le canal et la digue dépendant dudit moulin, d'un champ dit d'en Père, d'une pâture de deux a 60 ca, d'une pièce de terre partie jardin partie champ de 35 a 60 ca, d'un terrain boisé de 9 a 60 ca, de toutes les dépendances dudit moulin pour le prix de 14 000 francs ».
Par cet acte, Benoît Grand abandonne tout projet sur Caramany et se retire complètement de la commune, ce qui était sans nul doute le but recherché, car en plus du moulin et de ses dépendances, il vend « tout ce qu’il possède comme propriété personnelle dans ladite commune. » Ce n’est pas neutre car comme nous le verrons au chapitre XII.6, il avait lui aussi envisagé un temps de faire construire un moulin à huile. Pour aboutir à un accord, il a toutefois obtenu une clause qui, compte-tenu de événements qui vont se dérouler par la suite, n’a pas dû plaire à Louis Valentin Chauvet. La voici : « Le vendeur se dessaisit ce jour de la nue-propriété et de la jouissance actuelle du moulin de même que des autres biens pour les acquéreurs en jouir comme de leurs biens propres, mais néanmoins il est entendu et consenti qu’ils seront tenus d’exécuter envers le Sieur Fontvieille François, meunier à farine demeurant maintenant à Caramany le bail à ferme à lui consenti par Monsieur Grand…Les acquéreurs devront souffrir l’exécution de ce bail qui doit prendre fin le 30 juin prochain »
Une deuxième clause allait être à l’origine d’un autre conflit 40 ans plus tard.
« Les Messieurs Chauvet devront exécuter envers certains tenanciers de Caramany les charges grevant ce moulin et dérivant d’un accord qui fut fait il y a plusieurs années entre Monsieur Pierre Grand, père du vendeur et divers habitants de Caramany de l’autre, selon contrat devant Maître Bauby notaire à Latour… »
Même si le village est à son apogée d'un point de vue démographique, 491 habitants en 1820, 577 en 1846, il est évident que la production de céréales ne suffit pas à faire fonctionner trois usines et dans les années suivantes, elles connaîtront des mises en sommeil avant l'arrêt total.
*1 Moulins et meuniers en Fenouillèdes - page 193
*2 ADPO 3E 34/460 acte n°192 Hortet notaire à Saint-Paul
*3 ADPO 3E 38/54 notaire Canavy
*4 ADPO 3E 38/153 notaire Trullès
*5 ADPO 3E 42/195 notaire Jean Cussol
IV.5 La longue carrière de Jean Antoine Pons
Jean Antoine Pons va mettre fin à la période durant laquelle les meuniers se succédaient tous les deux ou trois ans. Lors de son arrivée, il est le seul de sa profession ; lorsque l'âge le contraint à arrêter ses activités, il y a, dans la commune, sans compter son fils présent à deux périodes, deux de ses confrères à temps plein et trois moulins fariniers.
Comme Jacques Roger, près de cinquante ans avant, il restera au village jusqu'à son décès à un âge très avancé. Cela mérite que nous le connaissions mieux.
Jean Antoine est né le 1er mars 1769 à Ansignan de l'union d'Antoine Pons et Elodie Buscail. Comme son père est meunier, son avenir est tout tracé. Enfant, il suit ses parents d'abord à Pézilla de Conflent, puis au Régatieu, ensuite à Caramany avant la Révolution. A 16 ans, il est en âge d'aider son père et de découvrir le métier, d'autant plus qu'Antoine Pons qui a une grande famille à nourrir, il aura, (sauf oubli), dix enfants, a également pris en fermage le moulin de Pézilla de Conflent. Jean Antoine se marie en 1794, à Joch, dans l'ancienne province du Roussillon, ce qui est assez rare pour être relevé, avec Cécile Pratx. Il est meunier en 1802 à Sournia où naît leur fils Antoine, le prénom qui se transmet, comme le métier, de génération en génération. Apparemment, il prévoit du changement puisqu'il lance une offensive sur Ansignan, comme nous l'avons vu précédemment, en demandant l'autorisation de faire fonctionner le moulin de La Peychère. On connaît la suite : installé au Jounquié par Charles Chauvet fils, en 1815, avec sa femme Jeanne Gou et ses enfants, Antoine, Cécile et Eulalie, il conserve de Pierre Grand en 1816 le fermage du moulin.
Dès 1818, il diversifie ses activités puisqu’il prend en fermage des terres appartenant à Auguste Chauvet, deux champs proches du moulin dont un complanté d’oliviers, mais aussi une olivette et une vigne. D’autre part le bail met à sa disposition des bâtiments faisant partie d’une dépendance du ci-devant château, appartement avec grenier, petite écurie avec grenier, moitié de bergerie et moitié du pailler au-dessus, « confrontant avec l’autre moitié de bergerie qui appartient au Sieur Bernard Chauvet et dame Chauvet sa mère*. » On peut même se demander quelles sont ses activités exactes, car si certains documents comme le décès d’une de ses filles en 1834 montrent qu’il réside au moulin, on voit arriver d’autres meuniers qui en détiennent aussi le bail.
L'année 1832 marquera un tournant. Le 21 janvier, il déclare le décès de sa deuxième épouse Jeanne Gou et le secrétaire de mairie le qualifie toujours de "meunier" et non d'ancien meunier, il a pourtant déjà 63 ans,
L'année suivante, il nous surprend encore en épousant le 12 septembre 1833 Elisabeth Montferrand, née le 24 mars 1810, donc plus jeune que lui de 41 ans. Il faut noter qu'il est toujours meunier de profession. La différence d'âge entre les époux est remarquable, mais il faut savoir que les familles se connaissent bien et sont même alliées. Elisabeth est la fille d'Anne Vaysse, donc la petite fille de Cyr Vaysse, ancien chirurgien et ancien maire, parent d'Antoine Pons père et parrain au moins à deux reprises de ses enfants. Elle est aussi depuis l’année précédente mère d’un petit Louis-Alexandre, né de père inconnu, et pour lequel Jean Antoine Pons refera son testament afin qu’il hérite d’un sixième de ses biens.
Elisabeth Montferrand donnera naissance à Rose en 1834 qui décède à 9 mois, à Jean en 1835, à Pierre en 1837, à un enfant sans vie en 1840, à Rosalie en 1842. L'acte de naissance de Pierre est le premier qui ne porte pas la mention ‶meunier″ mais ‶cultivateur″ et ce sera aussi le cas lors des naissances suivantes. Jean Antoine semble avoir passé la main, à 67 ans tout de même. Et il est venu habiter au village. Car, c’est certain, il a passé ses dernières années intra-muros et aurait donc déménagé mais quand ? Une chose est sûre, c’est avant 1841, année où, pour la première fois, les autorités procèdent à un recensement ; il y figure comme propriétaire vivant avec son épouse Elisabeth Montferrand et trois enfants, Alexandre, Jean et Pierre, au quartier de l’église. Le foyer se compose en plus d'un enfant en nourrice, ce qui procure un petit revenu supplémentaire à Elisabeth et d'un domestique Pierre Candille, preuve que Jean Antoine a acquis des terres, qu'il fait travailler. Mais avant 1841, deux dates se contredisent. En 1832 son épouse est dite « décédée dans la maison d’habitation de son mari sise à Caramany » ; c’est exactement l’expression qui figure pratiquement sur tous les décès dans la localité. Le problème, c’est qu’en 1834, dans l’acte de décès de sa fille Rose, l’officier public a inscrit « décédée au moulin à farine du sieur Benoît Grand. »
Jean Antoine Pons verra grandir ses derniers enfants puisqu'il quitte ce monde le 28 décembre 1855 « dans sa maison d'habitation à Caramany ».
*3E 42/147 notaire Gironne à Latour
V. Caramany et ses deux moulins fariniers, de 1824 à 1834
Alors que le moulin du Jonquié poursuit sa route avec Jean Antoine Pons aux commandes et Benoît Grand comme propriétaire, Louis Valentin Chauvet, après avoir essayé de construire un troisième moulin à huile et peut-être un moulin à vent (voir les derniers chapitres) décide de construire un moulin farinier sur la commune. Le 28 mars 1824, il dépose une demande d'autorisation auprès de la préfecture*1. Le 11 avril, le maire, Joseph Vignaud, certifie avoir procédé à son affichage pour qu’elle soit soumise à une enquête publique de 20 jours.
Dans le dossier, on peut lire que Louis Valentin Chauvet « est possesseur d'une usine pour la fabrication de l'huile d'olives très peu distante de la commune, ayant appartenu à Monsieur de Mauléon ci-devant seigneur du lieu qui fut vendue par sa famille même au père de l’exposant. (Ledit exposant) serait dans l’intention d’établir une autre usine pour la farine soit dans l’intérieur même de celle qui existe déjà, soit contigu sans rien changer néanmoins quant aux réservoirs en sorte que cette eau qui est très précieuse pourrait être utilisée toute l’année et avec un plus grand succès pour l’arrosement des terres. ».
Et cette fois-ci, le projet aboutit puisque le moulin est toujours visible au pied de l'éperon rocheux qui surplombe Caramany, entre le ruisseau de la Bécède et la RD 21. « Les murs sont conservés. La partie exploitation à l'est côté ruisseau, comporte plusieurs salles avec crépi intérieur... En contrebas de la route, l'ancien réservoir occupe la parcelle nommée ‶béal″, sa longueur atteint une soixantaine de mètres, sa largeur allant jusqu'à 10 m. on y voit le départ du coursier. La salle du rouet est de grande taille : 6 m par 4,60 m pour une hauteur conservée sous la voûte de 2,35 m. La salle des meules est en ruine et on y trouve divers quartiers d’une meule dormante en pierre meulière qui avait un diamètre de 1,40 m et une épaisseur de 36 cm. D'autres fragments de meules ont été réemployés notamment pour former un escalier extérieur*2. »
*1 ADPO 13 SP 24
*2 Moulins et meuniers en Fenouillèdes - page 46
VI. Caramany et ses trois moulins fariniers, de 1835 à 1850
VI.1 Le moulin de la Rouïre dit aussi des Bacs
Un seul moulin ne suffit pas à Louis Valentin Chauvet pour concurrencer celui de Benoît Grand. Au Prat Gran, il a l'avantage de l'emplacement mais pas celui du nombre de meules, il n'y en a qu'une paire, ni surtout celui du volume d'eau disponible. Il faut en effet attendre que les bassins se remplissent pour faire tourner le rouet. On apprend dans un acte du 27 juillet 1848 que son usine a même été dénommée la moulinette, une appellation certes sympathique mais qui par son diminutif montre qu’elle ne pouvait réaliser avec un moulin à deux meules actionnées par les eaux de l’Agly. Elle a certainement très peu fonctionné car on ne trouve dans les archives, aucun bail passé avec un meunier.
Louis Valentin Chauvet décide donc de lancer un nouveau projet cette fois-ci sur la rivière. Le lieu choisi est la Rouïre, bien en aval du Jonquié ; entre les deux implantations, l'Agly récupère les eaux du Rec dals Lluzens, de la Bécède et de la Teulière. Et l’affaire ne traîne pas.
Le dossier* est déposé en préfecture le 14 juin 1833. Le Maire Jean Estèbe reçoit l’ordre d’affichage en mairie dès le 18 juin et le 17 juillet il rend compte de l’enquête publique.
« Certifions qu’aucune opposition à la demande du pétitionnaire ne nous a été faite, qu’aucune réclamation ne nous est parvenue de Bélesta et Cassagnes et que le consentement a été donné par les propriétaires de terrains à traverser par le canal du moulin ou sur lesquels sera appuyée la digue pour la prise d'eau. » Et il ajoute, ce qui ressemble à un petit coup de pouce « estimons que l’établissement projeté ne peut être qu’au gré des habitants de Caramany puisqu’il sera non seulement utile aux habitants de cette commune mais aussi à ceux de Bélesta et de Cassagnes. » Sans pour autant porter un quelconque jugement sur l’impartialité du maire de Caramany, on ne peut que constater qu’il a été ‶omis″ de signaler que les habitants en question disposent déjà de deux moulins en fonctionnement de part et d’autre de celui qui est projeté, celui du Jounquié et celui du Régatieu, pas plus qu’il n’a été fait allusion au fait que le sieur Chauvet dispose déjà d’un moulin farinier, ce qui en fera trois sur le seul territoire de la commune. Ces ‶omissions″ sont à mettre en relation avec une phrase quelque peu énigmatique du rapport de l’ingénieur de l’arrondissement de l’Ouest, elle-même tirée de l’exposé du pétitionnaire « le seul moulin à blé en usage de Caramany se trouve presque à une demi-heure de distance » L’usage de l’adjectif seul montre bien qu’ il y en a un que l’on ne compte pas, certainement celui du Prat Gran, pas plus qu’on ne compte celui du Régatieu, pas très éloigné de la Rouïre et beaucoup plus près pour les Cassagnols. Ce rapport est déposé le 20 août ; il met en avant le caractère méditerranéen du cours d’eau « Mais comme cette rivière est torrentielle et que les eaux de crue s’élèvent jusqu’à deux mètres au-dessus de leur plan d’étiage, il est indispensable de parer aux inconvénients qu’un barrage même aussi peu élevé pourrait occasionner. La meilleure garantie sera son peu de solidité (en sable et gravier), il sera aussi facile à reconstruire qu’à détruire par la moindre crue. » L’ingénieur en chef signe le document le 3 octobre et l’arrêté du préfet est publié le 22 février 1834. Il tient compte de la situation tendue qui règne dans la vallée de l’Agly, car depuis 20 ans les communes de l’aval se plaignent du manque d’eau en été causé, selon elles, par l’arrosage que pratiquent les communes de l’amont et plus particulièrement Caramany qui résiste juridiquement. Permettre un nouveau barrage sur la rivière est donc assez périlleux et des précautions sont prises : « Considérant néanmoins que cette nouvelle prise d’ea , si elle était aussi employée à l’irrigation donnerait lieu à des oppositions de la part des arrosans (sic) et usagers des communes inférieures qui en jouissent par titre depuis des temps immémoriaux… » ce qui donne l’article 5 : « l’eau ne pourra servir qu’au jeu du moulin et devra être rendue immédiatement à la Rivière sans pouvoir être dérivée même en partie du canal pour l’irrigation ou autre usage. »
Une Ordonnance royale donnée au Palais des Tuileries le 24 septembre par Louis Philippe, roi des Français, accorde l’autorisation définitive qui est publiée, dernier acte du cheminement administratif, dans la Gazette nationale du 23 octobre 1834. Dans la rubrique « Diverses ordonnances rendues par le Roi sur le rapport du ministre secrétaire d'état de l'Intérieur », on découvre de nombreuses autorisations parmi lesquelles « M. Chauvet à construire un moulin à farine à deux tournants dans la commune de Caramany et à dériver à l'aide d'un barrage les eaux nécessaires du ruisseau de l'Agly. » Et oui, on ne sait pas en haut lieu que l'Agly est un fleuve, la demande venant d'une petite commune, il ne peut s'agir que d'un ruisseau. Ce terme ne sera pas repris dans le Bulletin des lois du Royaume de France, édition de mars 1835, dans lequel l'ordonnance royale figure sous le n° 6687.
Louis-Valentin Chauvet peut donc procéder aux travaux. Que savons-nous de ce moulin ?
« La prise d'eau se fera au Roc du Pla, 200 mètres au-dessus de l'endroit où doit se construire l'usine et cette eau sera rendue immédiatement à son cours naturel. Le barrage se composera de sable et de graviers, il aura 2 m de largeur à la base, 0,30 m au couronnement pour 1 m de hauteur. Des bornes seront installées de chaque côté de la rivière au niveau du ravin del Touro avec l'inscription des niveaux d'eau. L'usine n'aura que deux vannes motrices ayant chacune 0,50 m de largeur ; la hauteur de l'eau sur le seuil de ces vannes sera aussi de 0,50 m. Il sera établi une vanne de fond de 2 m de largeur entre le faux avant-bec de gauche de son usine et une culée construite à cet effet. Le couronnement de cette culée sera en pierre de taille et placé à 1 m en contrebas du Roc du Pla. Enfin, la chute d’eau sera de 3 m et le bief d’alimentation devra débiter un volume de 600 l. »
*ADPO 13 SP 24
A suivre
Notes :
- Relire De la feuille de parchemin au cahier d'écolier, rubrique anecdotes-2021
- On trouve le terme de marchand pour la première fois en 1762 ; il est associé à Jean-Baptiste Chauvet.
- Le dourg est une unité de mesure de capacité ; celui de Latour équivalait avant la Révolution à 14,399 litres.
Sources : Les sources seront données à la fin de l’étude.
Photos :
- miniature: la porte d'entrée et la fenêtre de la cuisine de la maison Chauvet. B.Caillens
- 1: Deux des faces de la maison Chauvet. A droite, derrière la porte de garage se trouvait la salle à manger. B. Caillens
- 2 : Vue aérienne du Jounquié (1965): le moulin avec son cortal, le Pont rose à droite, le pont primitif. Les surlignages sont de Philippe Garcelon
- 3 : Acte de mariage d'Antoine Pons et Elisabeth Montferrand. Archives départementales, registre d'état civil numérisé.
- 4 : Les deux moulins du Prat Gran, le moulin farinier a encore son toit, le moulin à huile est un peu sur la droite. B. Caillens
- 5 : Ordonnance royale pour autoriser la construction du moulin de la Rouïre. Gazette nationale 1834.
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