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Les oeuvres signées de l'église saint-Etienne
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- Publié le: 02/07/2020
- Auteur: Bernard Caillens
Contrairement à des édifices religieux plus prestigieux, il n'existe pas de "trésor" de l'église saint Étienne. Certes, le mobilier est riche par sa quantité et l'état de sa conservation, et deux éléments remarquables sont même inscrits à l'inventaire national des Monuments historiques : le tableau de la crucifixion et son cadre, datés pour le premier du XVIIIème siècle et pour le second de la fin du XVIIème (voir ci-dessous) et le maître-autel du chœur installé le 1er novembre 1789 par le curé Jean Damien Monferrand.
Il n'en reste pas moins que certains éléments architecturaux et certaines œuvres portent les signatures de leurs auteurs. Ce sont ces artistes et ces artisans que je vous propose de découvrir.
Le clocher, emblème du village
A tout seigneur tout honneur, commençons par le clocher1. Venu se rajouter tardivement à l'édifice, il en est l’élément fort. Il doit lui aussi à sa forme originale d'être inscrit, depuis 1972, à l'inventaire des Monuments historiques. Le récit de sa construction soigneusement rédigé en 1844 par le secrétaire de mairie Auguste Azaïs nous renseigne sur ses concepteurs. Les plans de la partie sommitale qui abrite les cloches ont été établis par l'abbé François Bria, alors curé de Caramany, aidé, on peut supposer que c’est sur le plan technique, par deux artisans-maçons du lieu, Pierre Calvet et Pierre Saly-Rebote. Leur réalisation fait depuis plus de 170 ans maintenant la fierté du village.
Pour un clocher il faut des cloches. Elle sont trois à égrener leurs notes au-dessus des toits du village. Les tout récents travaux de rénovation du toit de l'église2 nous ont révélé une partie de leur histoire, en tout cas pour les deux plus grandes. Elles ont été fondues sur commande de la municipalité, votée le 10 avril 1843, par l’atelier perpignanais des frères Cribailler, dernière famille de fondeurs roussillonnais. Les cloches ont été livrées début août 1844 et bénies le 5. Elles sont stockées dans la sacristie, dans l'attente de la construction du clocher, ce qui provoque des disputes entre le maire Jean Montferrand et le curé Bria, chacun en revendiquant la responsabilité.
La plus basse et donc la plus grande se nomme Catherine et porte l'inscription suivante :
"Sit nomen domini benedictum sancta Catherie ora pronobis"3. Mr Louis Valentin parrain Mme Catherine Marguerite marraine4. Les dites cloches sont faites aux frais de la commune de Caramany, fait par Raymond Cribailler frères à Perpignan 1844 ». On distingue également une croix et deux médaillons.
La deuxième en position centrale se nomme Marie Rose. Elle porte l'inscription Jean Hippolyte parrain, Marie Rose marraine5, le reste étant identique à la première, à l'exception de la prière en latin qui n'est pas reproduite.
Les factures de la fonderie Cribailler ne font état que de ces deux cloches. La troisième la plus petite garde encore tout son mystère, d'autant plus que son accès très difficile exigeant des mesures de sécurité particulière n'a pas permis de la photographier.
La nouvelle porte
Attendus depuis des années, les travaux d’agrandissement de l’église débutent en 1885. Elle va enfin répondre aux besoins d'une population de plus de 500 âmes L'élévation du toit permet de réaliser une entrée plus grande et plus imposante. Il faut donc fabriquer une nouvelle porte.
Ce travail sera confié à deux artisans : le Carmagnol Guillaume Solatges, menuisier de son état, et le ferronnier Fourcade de Saint Paul de Fenouillet. Leurs noms sont gravés sur l’élément de ferronnerie central, en même temps que la date de réalisation ou de pose: le 24 xbre 1885, veille de Noël, ce qui n'est sûrement pas un hasard.
Petit détail remarquable, le graveur, certainement le ferronnier, a orthographié la profession de son collègue d'une manière peu banale puisqu'on peut lire Meunuisier.
Un tableau remarquable !
Revenons sur le tableau de la crucifixion. L’atelier départemental de restauration du patrimoine à qui il a été confié de 2011 à 2013, n'a pu retrouver l'artiste créateur de la toile mais a identifié l'auteur du cadre.
« Même s'il ne comporte pas de signature, les visages de têtes d’anges, dont le nez est un peu fort, les lèvres épaisses et les boucles dans les cheveux bien détachées et aériennes » sont caractéristiques d'un artiste nommé Pierre Chartron : Il s'agit d'un sculpteur originaire de Loudun (Vienne) qui, dans les années 1690, travaillait d'édifice en édifice dans la région. Lui sont attribués le maître autel de Caudiès de Fenouillèdes (1662), le retable de la vierge de Villelongue de la Salanque (1697), les statues de Saint Jean et de la Vierge de Montner.
Ce cadre a donc abrité une œuvre antérieure à la crucifixion qui n’a pas été retrouvée, d'autre part, il avait déjà subi une restauration. Réemploi et restauration sont peut-être liés aux grands travaux de 1885, au cours desquels beaucoup de mobilier a été jeté et remplacé.
Les vitraux :
C'est aussi l'élévation de la voûte qui a permis de les installer et de créer à l'intérieur de l'église des jeux de lumière magnifiques. L'édifice en compte dix, trois dans le chœur, trois sur la façade méridionale, trois sur la façade septentrionale et la rosace au-dessus de la tribune. Ils n'ont peut-être pas tous la même histoire. Ceux de la nef portent en médaillon, sur le bas, la signature L.V. GESTA.
Louis Victor Gesta (1828-1894), est un peintre verrier toulousain. D'abord élève des Beaux-Arts de Toulouse, il se forme ensuite auprès du peintre sur verre Ernest Lami de Nozan, puis du maître- verrier Artigue. Rapidement, il crée un atelier sur Toulouse et, face à la demande importante de vitraux, se spécialise dans les vitraux religieux à personnage. Selon ses dires il aurait décoré entre 7 000 et 8 500 églises. Sa signature figure bien sur les vitraux côté nord, évoquant Saint Justin, Sainte Marguerite et Sainte Catherine, et côté sud sur celui de Saint Joseph, près du clocher, mais pas sur les deux autres qui semblent pourtant provenir de la même manufacture. L’explication réside peut-être dans le fait qu'en lieu et place de la signature, se trouve la marque des donateurs : Sur le vitrail de Notre Dame de la Salette, côté tribune, on reconnaît les armoiries de Monseigneur Antoine Gaussail, évêque de Perpignan de 1886 à 1899, qui a donc supervisé les travaux d’agrandissement6; sur celui de Sainte Eulalie, au centre, figurent deux têtes de nouveaux nés. Il s'agit d'une offrande, les familles d'Eulalie Lacourt et François Malet, son époux, ayant voulu remercier la sainte d'avoir épargné après six décès consécutifs de leurs nouveaux nés, leur septième enfant Anaïs, née en 1887, plus connue sous le nom de Maria Malet épouse François Bourdanel.
Les deux vitraux anciens du chœur ne sont pas signés Gesta mais portent l'inscription AMADIS Perpignan. Se pose alors la question de savoir s'ils sont contemporains ou plutôt antérieurs à ceux de la nef. En effet, le choeur avait été réhaussé bien avant 1885. La connaissance de cette information est tout à fait récente. Au cours de sa visite, en 2018, le directeur du CAUE7 m'avait fait remarquer des aménagements de la voûte bien antérieurs au XIXème siècle8. Une consultation des archives diocésaines a confirmé cette hypothèse puisque dans une lettre du 14 septembre 1884 adressé à l'évêché, en réponse au projet de la Fabrique, le Conseil municipal indique « qu’il ne consentira jamais à ce que l'on touche à la voûte de maître autel.. C'est un travail d’art d’une solidité à toute épreuve elle doit rester intacte parce qu'elle appuie le clocher qui pourrait se trouver fortement ébranlé. » Tous ces éléments semblent donc bien indiquer que le chœur avait subi des modifications sans pour autant prouver qu’il y avait des vitraux. Mais un autre indice est troublant. Lorsqu'on pénètre dans le clocher, on découvre que l'un des côtés n'est autre que le mur extérieur d'une abside sur lequel la trace d'une ouverture est nettement visible. D'une largeur de 0.75 m et d'une hauteur de 3 m, sa taille correspond à celle des vitraux du choeur. N'aurait-on pas à l'occasion des travaux du clocher récupéré les vitraux de trois absides primitives pour les placer un peu plus haut dans la voûte, ce qui permettait aussi de rajouter à l'opposé du clocher la sacristie? Il faudrait pour en être sûr connaître leur date de création, mais je n'ai pour le moment trouvé aucune référence d'un atelier de verrerie Amadis .
Le vitrail de gauche est dédié à Saint Jean-Baptiste et celui de droite à Saint Stephanus, ou Étienne, le saint patron de l'église. Ils encadraient autrefois Saint Pierre9. Cassé à sa base, ce vitrail a dû être remplacé en 1981 par un autre plus moderne, signé Jean Casas, Estagel.
La rosace, quant à elle n'est pas signée, mais les motifs de décoration sont très proches des vitraux de Gesta. Elle mérite une attention particulière car c'est l'un des rares vitraux de France, peut être le seul, dont on peut admirer les couleurs même en pleine nuit. Il n'y a pas de mystère. Rendue aveugle par la construction d'un étage supplémentaire sur la maison mitoyenne, elle est tout simplement éclairée par une ampoule électrique qui fait office de soleil chaque fois que l'église accueille des paroissiens ou des visiteurs.10
Dans le chœur :
A gauche du chœur, lorsqu'on regarde l'autel, est actuellement présentée la petite statue d'une vierge qui porte la mention suivante : Notre Dame du Sacré Coeur. Approuvée par le saint Père le 7 septembre 1875. C'est le nom donné à la vierge Marie, pour mieux l'honorer, par la communauté des missionnaires du Sacré Cœur fondée par le père Jules Chevalier, en 1855 à Issoudun. Cette communauté a été approuvée par plusieurs décrets du pape Pie IX.
La statue provient de l'atelier RAFFL et Cie, une entreprise de fabrication de statues religieuses et de mobilier d’église. Installée au 64 rue Bonaparte à Paris, elle a été active de 1857 à 1920.
Les apports du XXème siècle :
Les visiteurs qui fréquentent l'église lors des visites guidées sont pratiquement tous frappés par la richesse de la statuaire. La provenance des statues est inconnue, aucun signe n'étant visible sur leur socle. Grâce aux inventaires dressés à l'occasion des visites épiscopales, on sait toutefois qu'entre 1866 et 1879, ont été achetées les statues de la Sainte Vierge, Saint Joseph, Saint Étienne, Saint Roch, Saint Ferréol et Notre Dame du Sacré cœur. Les autres font donc partie d'acquisitions destinées à meubler le nouvel édifice. Celles de Sainte Catherine et de Saint François, qui se font face dans le choeur ont été achetées en 1904, hélas le document de la Fabrique11 ne mentionne pas où ? La plus récente est celle de sainte Thérèse de Lisieux, bien mise en valeur puisque située aussi dans le chœur entre Saint Étienne et Jésus Christ. Sainte Thérèse ayant été canonisée en 1925, on peut en déduire que l’achat est postérieur à cette date. Il a été effectué auprès de la maison Giscard, 25 avenue de la colonne à Toulouse. Et il ne pouvait en être autrement puisque la manufacture Giscard a reçu le privilège suprême de devenir le dépositaire officiel du carmel de Lisieux et, à ce titre, a été chargée de la réalisation de la statue de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus. Cette fabrique créée en 1855 par Jean Baptiste Giscard connaîtra d'ailleurs ses plus belles heures en 1920 et fermera définitivement ses fours en 2005. Elle se développe sous l'impulsion de son fils Bernard Giscard (1856-1926) qui devient le fournisseur de nombreux édifices religieux de la région grâce à ses créations de modèles de statues, d'autels, de chaires et de chemins de croix.
L'hommage aux Poilus :
A droite du chœur, visible de la nef, a été érigé un monument en hommage à nos Poilus. La commune ayant fait construire son propre monument au bord de la route départementale entre le village et le cimetière12, on doit certainement celui de l’église à la volonté de la paroisse et des familles de disparus. D'ailleurs, toutes les familles n'y sont pas représentées puisque le premier recense 25 Carmagnols, tous Morts pour la France, alors que le deuxième n'en compte que 20, 19 Morts pour la France plus un soldat décédé en activité en Allemagne en 1919.
Le monument se compose d'une plaque commémorative surmontée d'une magnifique statue représentant le Christ recueillant tendrement un soldat défunt. C'est l'œuvre du sculpteur carmagnol Joseph Léon Canredon, fils de l’instituteur communal Pierre Canredon, qui a suivi les cours de Beaux-arts de Toulouse puis de Paris. Il est aussi l'auteur de la statue du monument républicain et du lion qui trône au dessus d'une fontaine dans la Grand rue. Sa maison familiale est justement celle qui jouxte l'église à l'Est.
La plaque est signée Chs Desvergnes. Charles Desvergnes (1850-1926) a été élève des Beaux Arts de Paris et a reçu un prix de Rome de sculpture en 1889. Il installe son atelier au 135 rue de Vaugirard à Paris et participe à de nombreux concours pour la décoration d’édifices publics sous religieux. La première guerre mondiale et ses tragiques hécatombes lui permirent de proposer plusieurs modèles de monuments aux morts pour les églises et l'extérieur. Il pourra les produire en nombre grâce à l’accord commercial passé quelques années auparavant avec la maison Marcel Marron d'Orléans qui les fabriquera. Le monument de Caramany étant semblable à ceux de Champagnac le vieux (Meurthe et Moselle), Geville (Meuse), Barfleur (Manche), Capelles les Grands (Eure) ou à celui d'Herm (Landes), on peut l’attribuer au duo Desvergnes/ Marron.
L'entreprise Marron a certainement aussi reçu commande d'une plaque neutre placée de manière symétrique à la plaque commémorative, à gauche du chœur. Elle est également surmontée d’une statue, érigée dans l'église à l'initiative du père Olive, enfant de Caramany et dominicain qui souhaitait renforcer la présence de la vierge Marie. Celle-ci est présentée portant Jésus et apposant sa main sur la tête de Saint François. De facture plus moderne que le reste de la statuaire, elle est l’œuvre de Georges Serraz (1883-1964). Après des études à l'école de Beaux-Arts de Besançon, il est d'abord peintre puis sculpteur, plus particulièrement dans le domaine religieux. Il est l'auteur de nombreuses œuvres parmi lesquelles les deux plus hautes statues religieuses de France : la vierge du Mas Riller, 32,6 mètres (commune de Miribel, Ain) ou la statue du Christ roi, 25 mètres (commune des Houches, Haute Savoie).
Ces quelques artistes et artisans d'art ont contribué à façonner l’église que nous connaissons aujourd'hui. Espérons que leur liste, résultat de recherches très récentes, n’est pas exhaustive et que d'autres petites découvertes viendront la compléter.
Notes:
- Voir « l'histoire du clocher » et « l'abbé Bria, curé de Caramany », rubrique Histoire, textes publiés en 2009.
- Ces travaux réalisés en 2019 par la municipalité ont reçu le label de la Fondation du patrimoine.
- « Que le nom du Seigneur soit béni, Sainte Catherine, priez pour nous ».
- Louis Valentin Chauvet est le dernier représentant de la famille Chauvet ; il avait épousé en deuxième noces Marguerite Pech.
- Je n'ai pu identifier à ce jour Jean Hippolyte et Marie Rose.
- Voir « 1889, Monseigneur fait halte à Caramany », rubrique Histoire, texte publié en 2011.
- Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement, organisme émanant du Conseil départemental et investi d'une mission de service public.
- « Pour le couvrement du chœur, quatre ogives ont été conservées avec leur culot à cannelures, ainsi que la moitié des nervures secondaires d'un ancien couvrement dans un style d’esprit Renaissance. Nous concédons que ces ouvrages n'aient pu être réalisés que plus tardivement au 17 e voire au 18e siècle. » M. Vallière, directeur du CAUE, décembre 2018
- Information donnée par Madame Roselyne Dimon, paroissienne très attachée à l'église Saint Eyienne.
- Cette élévation a été obtenue en 1910, en échange de la destruction d'un escalier devant la maison qui permettait d'agrandir la rue pour le passage des charrettes. La commune y était favorable, la préfecture non mais elle a donné son accord après enquête publique.
- La fabrique est une institution composée du curé et de paroissiens désignés chaque année chargée d'administrer les biens de l'église. Elle fonctionnera jusqu'à la séparation des biens de l’Église et de l’État en 1905.
- Voir l'article « Les deux monuments aux morts » rubrique Histoire
Accès aux séries de photographies de l'église de Caramany:
Sources:
- Archives municipales : Registre de délibérations : 1843,1844
- Compte rendu de restauration : Centre de conservation et de restauration du patrimoine des PO.
- Archives paroissiales : procès-verbaux de visite pastorale
- Archives diocésaines : courriers de la fabrique
- Rapport du CAUE : Caramany-restauration des toitures de l'église Saint Etienne.
- Wikipedia : Gesta, Raffl et cie, Giscard, Serraz
Photos:
1: le clocher, emblème du village
2: la cloche Catherine
3: le tableau de la crucifixion
4: le vitrail de Saint Jean-Baptiste
5: Notre Dame du Sacré Coeur
6 et miniature: Le monument aux morts
La photographie de la cloche a été mise à disposition par le service communication de la mairie, toutes les autres sont de Philippe Garcelon.
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